Cinq longues nouvelles et autant de « fragments » constituant une sorte de fil rouge composent ce recueil où Anders Fager nous ouvre les portes d’un Stockholm et d’une Suède où l’horreur s’embusque juste là, au coin de la rue, où on l’attend le moins – un univers glauque et fiévreux découvert, on s’en souvient, avec Les Furies de Borås. Reste que pour ce deuxième recueil, si l’impact est moindre, l’ensemble n’en demeure pas moins accrocheur.
« Le Chef-d’œuvre de mademoiselle Witt » nous ramène cinquante ans en arrière, quand Christopher Priest était un jeune écrivain dynamitant tout qui nous balançait « La Tête et la main » en pleine poire. Anders Fager a beau ajouter une forte dose de stupre au thème, le texte n’a pas la violence radicale de celui de Priest mais se pare d’un certain effet gore. L’écriture offre toutefois des qualités plus que suffisantes pour qu’il soit impossible de lâcher le livre bien que l’on sente vite où l’auteur veut nous mener. On sait, mais on suit…
Si l’on ne meurt pas au quatrième étage de la maison de retraite, l’horreur peut s’y tapir, dissimulées sous l’apparence d’inoffensives mises en scène d’antiques cérémonies.
Un effroi tout lovecraftien peut surgir des eaux baignant l’archipel de Stockholm à l’occasion d’une opération militaire ultrasecrète de chasse au sous-marin russe en cette fin de Guerre froide et ne laisser que mort et folie sur son passage.
Après avoir livré son chef-d’œuvre, My Witt ne pouvait que découvrir l’hospitalité morbide de l’hôpital psychiatrique, haut lieu hermétique de toutes les violences et sadismes qui peuvent s’y donner libre cours, exacerbés par l’impunité dont les auteurs se sentent investis.
Yog-Sothoth est de la partie pour conclure en beauté « Le Voyage de Grand-Mère ». Les petits enfants d’un clan de… de quoi ? Loups garous ? entendent faire traverser la plus grande partie de l’Europe à leur génitrice monstrueuse, crevant de peur et la suintant autour d’eux dans des relents de puanteur indicible que la pluie peine à laver.
Dans ce recueil, on patauge dans la pisse, la merde, le foutre, jusque par-dessus les bottes, à quasiment toutes les pages. Tout le livre exhale l’odeur fade des couches, de l’hospice à l’hôpital psychiatrique. Les odeurs sont là, omniprésentes, conférant au recueil quelque chose du pire ou du meilleur (comme on veut) du Clive Barker des « Livres de Sang ». Le varech et les corps en décomposition donnent un contrepoint olfactif et horrifique rappelant combien Les Furies de Borås empestait plus qu’à souhait le poisson pourri.
Anders Fager questionne les limites et la fusion de l’art et de la pornographie, interroge ces lieux d’enfermement que sont les asiles psychiatriques et les hospices où la société entend circonscrire mort et folie ; il exhibe la peur que des sociétés soi-disant tolérantes et démocratiques engendrent de part et d’autre de la différence, nous entraîne dans les zones d’ombre oppressantes d’un monde étreint par l’angoisse, s’apparentant ici à l’école policière scandinave très en vogue aujourd’hui.
L’horreur selon Anders Fager ne vous glace pas tant les sangs qu’elle vous laisse le cœur au bord des lèvres, mais une chose est certaine : le Suédois sais jouer à merveille de la palette d’effets qu’il s’est choisi. Si vous appréciez la littérature d’horreur scatologique, c’est le livre qu’il vous faut.