Selon Eric B. Henriet, le point de divergence d’une uchronie apparaît souvent faible. Le choix doit en effet tenir compte de la connaissance historique du lecteur potentiel, en gros les acquis enseignés au collège et au lycée. L’auteur doit proposer également une réécriture vraisemblable de l’Histoire à partir d’un moment de rupture suffisamment crédible. De ce postulat, certes critiquable puisqu’il se cantonne au temps court de l’événement, découle une abondante littérature où il est d’usage de s’intéresser davantage aux conséquences d’une victoire de Napoléon ou des nazis plutôt qu’aux effets à long terme d’une incongruité en Mésopotamie.
La République des enragés ne déroge pas à ce principe puisque Xavier Bruce choisit de prendre comme point de divergence l’un des événements les plus marquants de la mémoire collective française : Mai 68. L’auteur nous invite ainsi à suivre les trajectoires d’un groupe de jeunes hommes et femmes amenés à se croiser, puis à se retrouver, durant ce moment de crise nationale. Sur cet argument de départ, Xavier Bruce greffe des motivations plus personnelles sortant du cadre classique de la rationalité. Nos jeunes gens partagent en effet la particularité d’être des fugitifs. Evadés en 1952 d’un centre de recherche ultra-secret, ils sont pourvus de pouvoirs extraordinaires faisant d’eux des mutants. Des sortes de X-Men en puissance, condamnés à se cacher des autorités, et qui semblent prêts à mettre à profit le chaos de Mai 68 pour régler quelques comptes et construire un nouveau monde.
Le sujet abordé par Xavier Bruce (ancien collaborateur de Bifrost, rappelons-le au passage) augurait du meilleur. Hélas, l’auteur semble s’être laissé contaminer par l’état d’esprit prévalant à cette époque dans la jeunesse. Sous couvert d’ode à la liberté, surtout des corps, d’ailleurs, La République des enragés est traversé par un sentiment de laisser-aller, un j’m’en foutisme global conférant à l’intrigue un rythme paresseux où même les coups de théâtre apparaissent téléphonés. Du côté des personnages, ce n’est guère mieux. Leur psychologie est brossée à gros traits quand elle ne paraît tout simplement pas grotesque. Sur ce point, la prime de la caricature revient incontestablement à l’ancien militaire raciste et au secrétaire d’Etat arriviste issu de l’organisation d’extrême droite Occident. Plus fâcheux, leurs parcours s’entremêlent sans contribuer à une quelconque progression dramatique, l’auteur préférant nourrir sa passion sincère pour la croupe de ses héroïnes.
Du point de vue de l’uchronie, les perspectives sont à peine esquissées. Tout au plus, Xavier Bruce laisse-t-il entendre que la disparition du général De Gaulle n’est pas étrangère à sa rencontre avec un mutant. Pour le reste, il faut se contenter d’un dénouement expéditif, somme toute très frustrant. Sur une période assez proche, on recommandera Rêves de gloire de Roland C. Wagner, bien plus convaincant.
En fait, La République des enragés n’est pas une uchronie prenant pour point de divergence les événements de Mai 68, mais un roman inconséquent qui arrache péniblement un sourire. On aurait presque envie de paraphraser un slogan de l’époque et d’en rajouter : Cours camarade, fuis…