Elizabeth MOON
J'AI LU
384pp - 7,60 €
Critique parue en novembre 1999 dans Bifrost n° 15
Après quarante ans passés à établir un début de civilisation sur la colonie n°3245-12, Ofélia apprend que les colons sont transférés ailleurs. À soixante-dix ans, le voyage en caisson de cryogénisation n'est pas sans risque pour elle. À soixante-dix ans, on n'a pas envie non plus de recommencer sa vie sur un nouveau monde. Mais la toute-puissante Compagnie reste intraitable, de sorte que la vieille femme se cache durant l'embarquement et ne revient au village qu'après le départ de la dernière fusée.
Commence alors une nouvelle vie au parfum de liberté : chez les colons, les codes de la vie en société sont stricts, prudes, et la femme y est peu considérée.
Ofélia cultive son jardin, s'habille selon sa fantaisie et entretient les machines restées en fonctionnement. Elle apprend ainsi qu'un nouveau groupe de colons débarqués dans une région plus tempérée ont été massacrés par des indigènes (curieusement appelés extraterrestres tout au long du récit). Peu après, elle les rencontre ; les deux cultures apprennent à se connaître. Ofélia contrevient cependant à tous les règlements en leur présentant la technologie terrienne, qu'ils assimilent beaucoup plus vite qu'elle peut l'imaginer.
Suite au massacre, des représentants de la Compagnie découvrent l'existence d'Ofélia et débarquent pour mettre bon ordre à ce qu'ils considèrent comme de graves dysfonctionnements. Confrontée à des psychologues et ethnologues qui la toisent de leur superbe, la vieille femme se révèle plus sage que ces jeunes gens arrogants qui croient tout dominer par leur savoir. À leur science, elle oppose sa capacité d'écoute et d'observation, mais il n'est pas certain que son attitude parviendra à épargner au Peuple une mise au pas sous la tutelle de la Compagnie.
Généreux et sensible, ce roman est original dans la mesure où il met en scène une vieille femme qui a suffisamment de courage et d'entêtement pour lutter seule contre tous. Le récit se développe toutefois lentement, trop lentement parfois : les indigènes, par exemple, n'apparaissent qu'après la centième page. Les caractères finement observés des protagonistes et la description de la civilisation étrangère ne sont pas en cause, Elizabeth Moon s'attachant à décrire les multiples tâches quotidiennes de son héroïne, comme pour mieux nous faire partager, à travers la monotonie de son existence solitaire, la paix intérieure qu'elle en retire. Au final un roman intéressant mais qu'on recommandera avant tout aux amateurs de sensations nuancées et délayées plutôt que d'aventures grand écran en technicolor.