Sandrine ALEXIE
L'ATALANTE
368pp - 22,50 €
Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98
Le Moyen-Orient du XIIe siècle était un terrain d’affrontement au moins aussi complexe qu’aujourd’hui : multitude de peuples, de religions, de conflits d’intérêts. Les frontières et les alliances fluctuaient selon les personnes, les fortunes de guerre ; les lieux saints passaient de main en main. Mais ces affaires, très humaines finalement, n’étaient pas les seules à agiter cette région : deux grandes forces, en secret, s’affrontaient. D’un côté le pôle du monde et ses Quarante chevaliers, venus du monde entier, aux pouvoirs exceptionnels. D’un autre, les Noirs, tendus vers la destruction. Au milieu, quelques hommes et femmes, dont Sibylle, de Terra Nuova, initiée par l’un des Quarante, Shudjâ’. Et son époux de circonstance, le Gascon Pèir Esmalit. Tous deux, jeunes gens au tempérament fougueux et au caractère bien trempé. Tous deux plongés dans un conflit terrible auquel ils ne comprenaient rien.
« La Rose de Djam », inspirée d’une légende perse, c’est avant tout un voyage. Sandrine Alexie est spécialiste, entre autres, de l’art de l’islam et de la culture kurde. Elle a voyagé dans ces régions décrites au fil des pages dans ses trois romans. Elle fait transpirer dans chaque goutte d’encre sa passion pour cette période et ces pays. À la suivre, on sent vibrer le moindre caillou, la moindre colline, le moindre cours d’eau. Les villages et villes traversées prennent vie, les habitants nous entourent, avec leurs cris, leurs désirs. Et l’usage mêlé de plusieurs langues n’y est pas pour rien. Les mots et expressions kurdes, gascons et autres, s’accumulent, s’enchainent, s’interpénètrent – jusqu’à en devenir parfois perturbant pour le lecteur ; plutôt que complètement nous plonger dans l’histoire, cela peut rebuter. Car tout le monde ne maitrise pas ces cultures et ces langues aussi bien que l’autrice, et mieux vaut être concentré pour ne pas s’y perdre. D’autant que chaque personnage est nommé de plusieurs façons, qui évoluent parfois en cours de route. Rien de dramatique, mais une perle de plus dans la confusion.
Restent le voyage, beau, mais dont on ne sait pas où il nous mène, et les personnages, justement, un brin caricaturaux parfois dans leurs emportements dignes de Daudet et son Tartarin de Tarascon (mais des Tartarins qui agissent, eux, et ne se contentent pas de se vanter). Trop sanguins souvent dans leurs réactions mais faits de chair et de sang, ils permettent de s’accrocher malgré les maladresses évoquées plus haut. L’Appel des Quarante tourne autour de Sibylle, jeune fille trop tôt plongée dans le monde des adultes et obligée de prendre des décisions sans maîtriser réellement, au début, le contexte. Dans La Grotte au dragon, c’est au tour de Pèir Esmalit de prendre le rôle central : Gascon isolé en territoire ennemi, confiant par nécessité sa vie à des personnes dont il ne parle pas la langue, il finit par devenir attachant en s’assagissant légèrement. Et autour d’eux gravite une galerie haute en couleurs, faite de personnages attendrissants ou effrayants, sans pitié ou terriblement drôles.
Lire « La Rose de Djam », c’est partir pour une région aride mais vertigineuse, c’est se lancer dans une quête aux contours flous mais aux enjeux capitaux pour l’humanité, c’est aussi se montrer tolérant devant quelques défauts qu’il faut savoir dépasser. Le quatrième tome est sur le feu. On l’attend.