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Les critiques de Bifrost

La Route des confins

Arthur Bertram CHANDLER, André-François RUAUD
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
13,00 €

Critique parue en avril 2007 dans Bifrost n° 46

Jamais je n'aurais parié le moindre kopeck sur une quelconque nouvelle édition française d'un livre de Bertram Chandler. À la question : quel auteur va avoir l'heur de nouvelles publications françaises, j'aurais pu évoquer cent noms sans citer Chandler et, une fois que l'on me l'eût soufflé, j'aurais placé les Moutons électriques tout en fin de la liste des éditeurs susceptibles de s'engager dans pareil projet… Autant dire que j'ai été fort surpris.

Je n'avais pas de souvenir précis de mes lectures des deux premiers romans de Bertram Chandler publié en France, si ce n'est que c'était plutôt bien. J'avais lu Le Long détour à sa sortie en 1980, chez Albin Michel, et Rendez-vous sur un monde perdu, paru au Fleuve Noir en 1963, encore avant. J'ai mis à profit le temps nécessaire à ce que La Route des confins me parvienne pour relire ses deux prédécesseurs. Deux courts romans d'aventures spatiales tout à fait sympathiques.

Dans sa postface, André-François Ruaud, l'éditeur, décrit fort bien le type de space opera auquel on a ici affaire. À savoir, des histoires d'aventures maritimes transposées dans l'espace qui inscrivent A. Bertram Chandler dans la continuité de C. S. Forrester et Patrick O'Brian.

La Route des confins commence sur Terre, en Australie, pays d'adoption de l'auteur, né en Angleterre en 1912. Le jeune enseigne John Grimes, héros récurrent de Chandler — que l'on retrouvera au faîte de sa carrière dans Le Long détour mais pas dans Rendez-vous…, pourtant situé dans le même univers — embarque sur un cargo spatial pour sa première affectation. Bien que le roman soit des plus courts, l'action tarde quelque peu à démarrer. Près de la moitié du roman est consacré à la mise en place du contexte et à brosser le portrait des personnages. Et encore, à aucun moment nous ne ferons connaissance des méchants pirates de Waldegren. Cependant, si l'action est lente à prendre son essor, le lecteur n'a toutefois nullement le temps de s'ennuyer, et, une fois lancée, elle est menée au pas de charge.

Il est intéressant de comparer les trois livres traduits en France de l'auteur à d'autres romans du même type, parus aux mêmes époques (la VO du présent Chandler date de 1967). Peu après Rendez-vous sur un monde perdu, le Fleuve Noir publiait sa dernière traduction (hors Perry Rhodan) : L'Astronef pirate de Murray Leinster. Des auteurs de la même génération bien que Chandler n'ait commencé à écrire que sur le tard, à près de 50 ans. Les deux romans sont très proches. Quand, presque vingt ans plus tard, on pose en regard du Long détour, La Poussière dans l'œil de Dieu de Larry Niven et Jerry Pournelle (de nouveau disponible au Belial', réédité dans une traduction revue sous le titre La Paille dans l'œil de Dieu) également publié par Albin Michel, un roman où il est aussi question d'officiers et de marine spatiale, on perçoit très clairement que le space opera a évolué. Ce n'est pas parce que La Paille… est l'un des meilleurs space op' que l'on ait pu lire, mais parce que la suspension de l'incrédulité doit être différemment mise en œuvre. En fait, on ne croit déjà plus au roman de Chandler ni à ceux de Jack Williamson ou d'E.E. « doc » Smith dont les cycles de La Légion de l'espace et des Fulgurs étaient publiés dans la même collection qui sortait là ses derniers titres. Mais que dire lorsqu'à côté de La Route des confins on pose Succession (Les Légions immortelles et Le Secret de l'empire, de Scott Westerfeld, tout juste publié chez Pocket) ? Il faut pour apprécier les anciens space opera un second degré de suspension de l'incrédulité, sans préjuger de la qualité ni du plaisir trouvé à lire de tels ouvrages. Il faut adopter une démarche comparable à celle qui permet d'apprécier une comédie de mœurs d'une autre époque.

Peut-être les aventures de John Grimes sont-elles devenues cultes en Allemagne ou aux USA, mais elles n'en prennent malheureusement pas le chemin chez nous. La couverture est particulièrement hideuse. Le texte contient le lot habituel de coquilles qui semble être la marque de fabrique de cet éditeur, sans parler d'une traduction calamiteuse… Quoique d'un prix abordable, ce livre aurait mérité d'être mieux édité. Reste une lecture sympathique, et l'on peut d'ores et déjà prendre rendez-vous non pas sur un monde perdu, mais en 2008 pour la suite annoncée (avec, espérons-le, un autre traducteur).

Jean-Pierre LION

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