Poul ANDERSON
FOLIO
400pp - 11,70 €
Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75
La Saga de Hrolf Kraki est une saga nordique dont les traces remontent jusqu’au xive siècle. Elle évoque l’histoire familiale des Skjoldung, amenés à régner sur le Danemark. A peu près contemporaine d’autres sagas, comme celle de Beowulf ou le Nibelungenlied, elle est nettement moins connue que celles-ci. C’est clairement ce qui a motivé Poul Anderson pour nous en proposer une relecture moderne. L’auteur s’en ouvre dans une préface très intéressante, permettant de mieux cerner son projet. Son but est ainsi de fournir une reconstitution la plus fidèle possible de la vie à cette époque, à savoir le vie siècle, sans céder à la tentation de faire des Skjoldung des personnages romantiques : on est à une période de l’histoire âpre, ceci doit transparaître dans le récit d’Anderson.
Saga nordique oblige, on n’est pas dans le canon de fantasy du roman d’apprentissage, où l’on suit le développement d’un personnage promis à une grande destinée. On suit plutôt une saga familiale, au cours de laquelle les différentes générations se succèdent, jusqu’à ce qu’on aboutisse à Hrolf Kraki, rejeton sans doute le plus connu des Skjoldung. Certains personnages disparaissent brutalement de l’histoire, non qu’ils soient morts, mais simplement ils n’interviennent plus dans le récit et sont donc évacués sine die. La forme permet ainsi une vision englobante de l’évolution, non seulement de la famille des Skjoldung, mais aussi du Danemark, au gré des guerres, des alliances et mésalliances qui rythment ces pages. C’est toute l’histoire d’une époque, celle du Haut Moyen Age, qui est évoquée ici, à travers le prisme de sa plus emblématique descendance. Nul besoin toutefois d’avoir des connaissances historiques pour apprécier pleinement ce livre : La Saga de Hrolf Kraki, c’est avant tout un formidable roman d’aventures, guère avare de morceaux de bravoure et de trahisons, conté avec une force d’évocation rare. On y croisera ainsi de nombreux personnages inoubliables, comme les deux frères Hroar et Helgi (le monarque bienveillant et celui qui connaîtra la pire des trahisons, d’où naîtra d’ailleurs Hrolf Kraki), Shipdag, jeune homme sans formation qui parvient à se défaire de douze berserkers, ou encore Björn, changé en ours-garou. Finalement, Hrolf Kraki, qui apparaît tardivement dans le livre, est relativement éclipsé par les hauts faits de ses aïeuls et de ses compagnons. Comme il l’a annoncé dans la préface, Anderson ne prend pas de gants : ses personnages ne se battent pas pour la gloriole, mais bien par nécessité, parce que les codes de la société sont ainsi faits que c’est le plus fort qui l’emporte (et, pour mieux servir son propos, l’auteur se contente d’une description factuelle des événements, sans glorification outrancière). Ils n’ont pas d’état d’âme à se débarrasser de leurs adversaires par la violence, même s’ils méprisent les trahisons, comme celle qui coûtera la vie à Helgi, sans aucun doute le personnage le plus tragique de ce roman, avec sa femme Yrsa.
Au final, ce roman, qui obtint en son temps le British Fantasy Award, est une très belle réussite, qui utilise un matériau splendide, peu connu, et sait le bonifier pour la plus grande joie des lecteurs. Fresque épique peuplée de personnages plus grands que la vie, La Saga de Hrolf Kraki est un sommet dans l’œuvre de Poul Anderson.
[Et aussi : la critique de Xavier Mauméjean dans le Bifrost n° 36.]