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Les critiques de Bifrost

La Saison du silence

Claire MATHOT
ACTES SUD
175pp - 18,00 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

L’hiver étend son blanc manteau et bientôt la rivière qui borde le petit village de C… sera gelée, marquant ainsi la très redoutée période de l’Isoloir. L’activité du bourg semble entrer progressivement en hibernation, la vie y est austère, l’atmosphère est glacée, et l’air qui le parcourt n’est que brume et froidure. Ambiance…

Dans ce que l’on imagine être un futur indéterminé, où l’on a oublié la technologie et où les lettrés comme les érudits semblent aussi rares que superflus, une communauté rurale affronte la rudesse des frimas en se conformant aux principes d’une société un peu particulière. Car ici personne ne possède de nom et chacun existe au travers de son Occupation (avec une Majuscule), tel le Passeur, la Crémière, la Serveuse, le Fossoyeur, le Maire, l’Écrivain ou bien encore l’Aventurier. La particularité du système, c’est que la loi autorise quiconque à défier son prochain pour lui prendre sa place, à l’issue d’un combat à mort que l’on nomme Destitution.

Dans cette collectivité glacée et repliée sur elle-même, où l’on est défini par son statut social et le travail que l’on fournit, plutôt que par son humanité ou son individualité, pourquoi ne pas tenter sa chance à l’extérieur et parcourir le vaste monde ? Un homme, justement, l’a fait jadis, il y a trente ans… et voilà qu’il est de retour. Mais qu’a-t-il vu, qu’a-t-il découvert et surtout… pourquoi est-il revenu ?

La Saison du silence est presque un roman du terroir post-apocalyptique, un retour à la terre qui aurait mal tourné. On croirait par moments retrouver du Giono, sa « Trilogie de Pan » transposée ailleurs et demain. Claire Mathot figure avec une funeste poésie le village de C… comme une zone de confort, à la fois cocon rural et carcan carcéral, et dont il faut s’extirper si l’on veut vivre libre. Dans ce quasi huis-clos, où l’atmosphère du village demeure aussi brumeuse que les descriptions vagues de l’Aventurier, les personnages du récit livrent au lecteur leurs états d’âme évolutifs et font de La Saison du silence un conte initiatique où la quête de soi suggère l’ouverture à l’autre. Claire Mathot évoque ainsi l’amour comme une invitation à découvrir le monde, au travers d’une double romance en miroir délicate et habile. Ce qui pourrait sembler un peu convenu est ainsi plus subtil qu’il n’y paraît. C’est un récit intelligent et bien mené, celui d’un cauchemar dont on se libèrera (peut-être ?) en choisissant de vivre ses rêves. Et même si l’on voit assez vite quel en sera le dénouement, qu’importe puisque c’est un conte et que, comme pour un voyage, ce n’est pas la destination qui compte mais le chemin que l’on parcourt. Une bien jolie réussite.

 

 

 

Julien AMIC

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