Suffisamment rares sont les ouvrages sur notre genre de prédilection pour que nous n'omettions point d'en parler (même avec un an de retard !).
Mais avant toute chose, tâchons de déterminer à qui s'adresse celui-ci.
Certainement pas aux connaisseurs, non, mais plutôt à tous ceux qui veulent savoir ce qu'est cette bête étrange que l'on nomme science-fiction et à qui il apparaît nécessaire ou souhaitable de savoir de quoi il en retourne. Aux profs, par exemple…
Les auteurs commencent par essayer de répondre à la question : « Qu'est-ce que la science-fiction ? » Ils abordent sa dimension anticipative, sa vision technoscientifique et son approche rationaliste, soulignent qu'il s'agit d'une littérature spéculative et non pas prophétique, axée sur l'exploration de divers possibles soumis à condition et non sur une quelconque prédictibilité.
Ainsi, la S-F explore non seulement ce qui pourrait se passer lorsque les E.T. viendront (s'ils viennent, s'il y en a), mais aussi ce qui se passerait s'ils étaient déjà venus, si l'Axe avait gagné la Deuxième Guerre Mondiale, etc.
Les auteurs tentent également de définir la S-F par rapport à des genres voisins avec lesquels on (le béotien) tend à la confondre : le merveilleux, la fantasy, le fantastique, l'utopie, etc. Après quoi ils approfondissent quatre types de S-F : le space opera, la hard science, le cyberpunk et le steampunk.
Cette introduction terminée, nous est proposé un historique du genre, suivi d'une recension des thématiques qui constitue le gros de l'ouvrage. Les auteurs les parcourent, de la conquête spatiale à l'uchronie en passant par les extraterrestres, le voyage temporel, les sociétés futures, mutants, ordinateurs et autres robots, l'impact de la science sur l'homme, la politique, la métaphysique et l'eschatologie, le réel et le virtuel, les univers parallèles. Un dernier chapitre, enfin, est consacré au traitement humoristique. À cette exception près, les auteurs esquivent le débat sur la forme et c'est peut-être dommage.
Le principal défaut de l'ouvrage tient à ce qu'il s'apparente trop à un catalogue de la production de S-F en France. Paradoxalement, c'est aussi ce qui fait sa qualité et révèle combien les auteurs sont des prosélytes qui aiment le genre et connaissent sur le bout des doigts ce qui s'est publié dans l'Hexagone, au point que l'on peut critiquer l'excès de citations. Un auteur actuel et abondant, comme Pierre Bordage, y voisine avec la production plus discrète mais exigeante d'une Sylvie Denis, des space opera oubliés d'un Maurice Limat au Fleuve Noir ou des anciens tels que Rosny Aîné. Du coup, les annexes constituent une autre force de l'essai. Elles sont au nombre de cinq. Un dictionnaire des principaux auteurs avec notices biographiques ; un glossaire pratique des termes spécifiques pour ceux qui n'y connaîtraient vraiment rien ; un répertoire des fort nombreuses œuvres citées (livres, BD et films) classées par auteurs ; un index des notions et un index des noms propres. On déplorera que le répertoire des œuvres ne bénéficie pas d'un renvoi de page et qu'il faille transiter par l'index des noms pour accéder au texte depuis une référence. Il faut aussi noter que seule la production traduite est prise en compte ; le livre fait comme si ce qui n'a pas été traduit n'existait tout simplement pas.
C'est un ouvrage essentiellement descriptif. Pas une œuvre critique. D'une manière générale, les auteurs s'abstiennent de commenter le genre. Ils n'opèrent pas de distinguo entre une S-F animée de véritables ambitions littéraires, tant stylistique que problématique, d'une autre ayant avant tout vocation divertissante (nonobstant le fait qu'il existe de bons divertissements et des spéculations médiocres). On pourra donc considérer comme regrettable qu'un ouvrage destiné en priorité à des béotiens ne demandant qu'à apprendre présente la S-F comme si tout y était intéressant.
Avant de conclure, il nous faut abonder dans le sens des auteurs qui voient depuis 20 ans un certain affadissement du genre, pour ne pas dire un affadissement certain. Le nier reviendrait à adopter la politique de l'autruche. La S-F est un produit culturel des XIXe et XXe siècles où dominait une idéologie de progrès ; elle ne saurait être une littérature du XXIe siècle tel qu'il s'annonce, au mieux conservateur, voir réactionnaire. Ainsi Francis Fukuyama, l'éminence grise (brune) de Reagan qui s'est fendu d'un ouvrage intitulé La Fin de l'Histoire, où il estime le capitalisme indépassable, vient de récidiver avec La Fin de l'Homme, essai ultraréactionnaire sur la bioéthique parce qu'une transcendance de l'humanité représente une menace pour le capitalisme. C'est cette pensée, rigoureusement hostile au concept même de science-fiction, qui aujourd'hui domine totalement le bassin culturel de la S-F, l'Occident. Aussi notre littérature de prédilection est-elle pour l'heure vouée à ressasser les clichés du genre selon un canon politiquement correct, en passant sous les fourches caudines d'un terrorisme intellectuel plus virulent que jamais. Les bons ouvrages spéculatifs, tel Le Feu sacré de Bruce Sterling, sont désormais la portion congrue, très congrue. À l'inverse, foisonnent les ouvrages de fantasy médiévale véhiculant une idéologie féodale et un obscurantisme de mauvais aloi où l'homme est livré à des forces qui le dépassent (sans doute les forces du marché). Difficile d'imaginer un contexte macroculturel moins favorable à la S-F. Il lui incombe néanmoins de porter l'espoir du progrès et d'imaginer un monde meilleur, ne serait-ce qu'en critiquant celui-ci, comme le firent les auteurs des années 60/70.
La Science-Fiction est un ouvrage didactique de base, à caractère essentiellement descriptif, qui ne s'adresse pas aux fans chevronnés. Les autres y trouveront un panorama qui pourra leur être utile. Les connaisseurs y puiseront de quoi alimenter leurs querelles de chapelle, opposer moult objections, polémiquer à loisir et animer maintes controverses, mais rien de rédhibitoire qui permette de vouer l'ouvrage aux gémonies.