Gilbert HOTTOIS, Jean-Noël MISSA
VRIN
148pp - 12,00 €
Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110
Qu’est-ce que la science-fiction ? On a beaucoup épilogué sur ce fichu tiret, sur les rapports nécessaires, incestueux ou oxymoriques entre science et fiction, pour finir le plus souvent par conclure, avec Spinrad, que « la SF, c’est tout ce qui se publie sous l’étiquette SF ».
Une voix manque pourtant au débat : celle de l’épistémologue. S’interroger sur le rapport de la SF à la science, c’est bien ; mais au fait, d’abord, qu’est-ce donc que la science ?
Il se trouve qu’un philosophe des sciences bien connu, en particulier pour avoir conçu et théorisé le concept de technoscience, Gilbert Hottois (1946-2019), était aussi un amateur et un fin connaisseur de SF, auteur d’un roman, Species Technica (Vrin, 2002). Mieux : la science-fiction était indissociable de son concept-phare, comme il l’expliquait dans Généalogies philosophique, politique et imaginaire de la technoscience (Vrin, 2013).
Hottois travaillait de nouveau, lors de sa récente disparition, à un ouvrage développant sa vision de la SF, ou possiblement de la technoscience-fiction. La seconde partie, « Ambitions et définitions de la science-fiction », en demeurera à l’état d’ébauche ; c’est la première, « Une introduction historique et philosophique », que nous proposent aujourd’hui les éditions Vrin, avec une préface d’un autre philosophe, Jean-Noël Missa.
Étonnamment – ou pas –, Hottois consacre une grande partie de ce qui restera donc, hélas, un demi-essai réduit à sa composante historique, à Hugo Gernsback, l’éditeur bien connu d’Amazing Stories, inventeur du terme science-fiction et principal promoteur du genre dans les années 1920 et 1930. La SF selon Gernsback, résolument technophile, se veut actrice du progrès humain, capable d’imaginer et de proposer des futurs possibles à une humanité pleinement humaine, homo sapiens et homo faber, grâce au progrès technique et scientifique. Ça tombe bien : la science de Gernsback, c’est donc la technoscience, à peu de choses près, et la SF gernsbackienne, fondamentalement, une technoscience-fiction en devenir.
L’histoire du genre est plus complexe, bien sûr, et Hottois ne fait pas l’impasse sur ses origines européennes, avec des auteurs comme Jules Verne en France et H.G. Wells en Angleterre, ou des théoriciens comme Maurice Renard ; pas plus sur le débat avec ceux qui préfèrent faire remonter la naissance de la SF au Frankenstein de Mary Shelley — œuvre pourtant largement technophobe : pour Hottois, si elle est effectivement fondatrice, ce ne saurait être de la science-fiction. Mais l’érudition de notre philosophe ne se limite pas aux références purement littéraires. Son point de vue assez inhabituel nous rappelle aussi le rôle du fandom, et celui, souvent négligé, de figures comme, à l’aube de l’ère moderne, Giordano Bruno, martyr selon lui moins de la science que de la liberté de spéculer ; ou encore Johannes Kepler, pionnier, avec son Somnium, moins de la hard science fiction que d’une vulgarisation scientifique aussi audacieuse qu’informée…
En l’état, donc, un petit livre bienvenu pour les érudits. Mais les définitions provocatrices de Hottois nous manquent déjà !