Saul PANDELAKIS
GOATER
592pp - 18,50 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Dixième ouvrage de la collection « Rechute » des petites éditions rennaises Goater, le livre de Saul Pandelakis surprend tout d’abord par son épaisseur, peu habituelle dans cette collection. C’est donc avec curiosité que l’on ouvre cet imposant premier roman – et de SF, et français.
Sur la forme, nous allons suivre Roz (les chapitres A) et Asha (chapitres B), double narration entrecoupée par six interludes. Sur le fond, nous découvrons tout d’abord Roz, un homme trans mélancolique, membre d’un collectif humain aux compétences variées embarqué dans le vaisseau ari-me visant à découvrir et terraformer de potentielles planètes habitables. Ils sont accompagnés durant leur quête d’une IA, Alex, et d’un unique bot : Touet. Sur Terre, on rencontre Asha, bot transgenre qui se prépare pour une interview. On apprendra dans les chapitres suivants que les êtres humains s’y raréfient, amenant les bots – ainsi sont nommées ces androïdes – à s’interroger sur l’attitude à adopter envers ces créateurs en voie de disparition sur une Terre en pleine crise climatique. Quant aux interludes, véritables histoires dans l’histoire, chacun étoffera différents aspects du roman : la création d’Alex, la conception d’algorithmes spécifiques ou des sexbots, ou encore du programme spatial.
À mesure du développement de l’intrigue, des deux personnages et de leur environnement, s’installe une écriture qui manie avec habileté des concepts philosophique ou sociaux dans un style étoffé d’un humour parfois grinçant. S’y déploient principalement deux points de vue sur les tensions créées par l’individualité et le collectif, aussi bien que la question du corps, des normes et de la notion même de vivant, du deuil et d’une confrontation avec un avenir incertain et un présent caduc. Rappelant tour à tour les exobiologistes d’Apprendre si par bonheur de Becky Chambers (cf. Bifrost n° 100) ou des récits de SF portés sur les personnages en proie à un trouble comme dans After Atlas d’Emma Newman (cf. Bifrost n° 90), pour ne citer que deux exemples, Saul Pandelakis semble se placer dans la veine d’une science-fiction qui tend vers l’humain, dans toutes ses aspérités. Porté par une écriture aussi travaillée que fluide et vive, La Séquence Aardtman est un pavé qui se lit avec plaisir ; on quitte ses personnages, avouons-le, avec un pincement au cœur, mais un peu grandi d’avoir partagé leurs réflexions et un pan de leur vie. Voilà un auteur à suivre…