Margaret ATWOOD
ROBERT LAFFONT
518pp - 10,50 €
Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39
Avec la publication simultanée du Dernier homme (inédit critiqué in Bifrost 38) et de La Servante écarlate (réédition en poche), Margaret Atwood fait un retour remarqué sur le devant de la scène éditoriale française.
C'est l'occasion de (re)découvrir l'extraordinaire travail de cette Canadienne presque sexagénaire, dont la virulence du propos est encore aujourd'hui un sujet d'émerveillement.
Véritable roman politique et militant, au meilleur sens du terme, La Servante écarlate est un texte atypique, terrifiant et volontiers orwellien. Pendant féministe du célébrissime 1984, son intrigue tourne avant tout autour du mécanisme du pouvoir, et de l'acceptation lâche qui le produit. En l'occurrence, Atwood construit son roman comme une arme de guerre féministe, aussi incorrecte qu'assassine à l'égard de toutes les formes de dominations (y compris masculines).
À travers l'histoire de Defred, femme-objet vêtue de rouge et dont la fonction officielle n'est rien d'autre que reproductive, Atwood dissèque la mécanique totalitaire avec une douloureuse lucidité. Résumons : le pays subit une dictature théocratique autoritaire qui réprime tout et n'importe quoi. Pour une raison inconnue, les femmes n'enfantent plus guère, menaçant de fait la survie même de l'humanité. Celles qui possèdent encore la capacité d'être enceintes sont réquisitionnées par le gouvernement. Commence alors une épouvantable existence de recluse, de prisonnière sexuelle et politique, alors que certains dignitaires les fécondent régulièrement pour renouveler la race. Dès lors, Defred n'est somme toute pas autre chose qu'une matrice, sans âme, sans esprit, sans rien. Constamment surveillée, perpétuellement soumise à une discipline patriarcale impitoyable, Defred se souvient du monde tel qu'il était avant. Le monde où son amant s'appelait Luke, le monde où elle pouvait lire, boire, chanter, le monde où elle avait encore une petite fille…
Terriblement sombre, d'une violence extrême (une violence sourde et toujours pudique, donc plus efficace), intelligent et superbement mené, La Servante écarlate n'est évidemment pas qu'un simple manifeste. C'est une interrogation grave, un signal d'alarme lancé en 1985, mais dont l'écho est encore vivace aujourd'hui. À la manière d'un Orwell dont la lecture est aujourd'hui plus que jamais nécessaire, Atwood signe tout simplement un grand livre, dérangeant et fondamental. À ne pas manquer. Et à cacher au fond d'un carton avant qu'on interdise définitivement toute forme de libre pensée.