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Les critiques de Bifrost

La Sirène d'Isé

La Sirène d'Isé

Hubert HADDAD
ZULMA
176pp -

Bifrost n° 102

Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102

C’est l’histoire d’une vaste demeure, la fondation des Descenderies, ancien sanatorium transformé en asile, au bout des landes, à la pointe sud de la baie d’Umwelt. Le professeur Rimwald dirige cet institut où les jeunes phtisiques ont été remplacées par les folies les plus diverses. Pour les traiter, le professeur a élaboré une thérapie par le choc, mise en œuvre au sein d’un dédale végétale et angoissant, et dont le rythme secret repose sur le « Petit Labyrinthe harmonique » de Jean-Sébastien Bach (BWV 591). La nature qui environne cet asile est également inquiétante : la falaise sur laquelle se trouvent les Descenderies est grignotée peu à peu par la mer. Régulièrement, l’une des pensionnaires disparaît dans les flots. L’une d’elles, tout particulièrement, a retenu l’attention du docteur : la belle Leeloo, au babil d’oiseau, qui a mystérieusement donné naissance à un enfant sourd, Malgorne. Après la disparition de sa mère, l’enfant qui grandit au sein de l’asile deviendra le jardinier du labyrinthe. Au pied de la falaise, devant un cadavre de rhytine qui rappelle à tous la légende des sirènes, il va croiser la belle Peirdre et son intrigante amie. De là, par cercles de plus en plus larges, les destinées vont se croiser, jusqu’à se catalyser dans un orage magnifique dont la foudre percera les tympans.

Que le Bifrostien ne s’y trompe pas : c’est du fantastique le plus ténu, tellement qu’on pourrait se dire qu’il n’y en a pas. Car le fantastique, c’est une connivence devant une question qui ne se résout pas : il se partage, au moins avec le lecteur qui sert de point d’ancrage dans le réel. Pour ainsi dire, rien de tel ici : chaque personnage est un monde propre à lui seul, un Umwelt (environnement, en allemand), et incarne le mystère de ce qu’un autre peut percevoir du réel qu’on partage avec lui. La surdité de Malgorne en est le meilleur exemple : que reste-t-il de la lumière quand elle baigne un monde totalement silencieux ? Comment saisit-on les rythmes et leurs secrètes concordances avec notre psyché quand la musique se tait ? Que peut être le temps quand l’horloge reste mutique ? Plutôt que d’insister sur l’étrangeté fantastique de la perception d’autrui, le roman nous invite à la comprendre, tant et si bien qu’à la fin, une femme échouée sur les récifs, le bas du corps pris dans les algues ne nous apparaît plus vraiment comme la sirène tant espérée dont la rhytine était la préfiguration.

La langue, très française par son usage des abstraits, y est belle, ciselée et un peu âpre, et pour cette raison trouve l’harmonie juste pour ces personnages pris dans leur handicap ou leur folie, douce ou moins douce. Une certaine distance demeure, recherchée sans aucun doute, qui atténue la tentation du romantisme ou de la sensualité que Hubert Haddad sait manier ailleurs avec talent. Poussez donc la grille des Descenderies et venez y faire résonner votre Umwelt au cœur du labyrinthe : vous y (re)trouverez bien quelque chose ou quelqu’un.

Arnaud LAIMÉ

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