« D’après une histoire (presque) vraie… » : voici qui aurait pu figurer sur un bandeau ornant la couverture de La Société des faux visages, dixième roman de Xavier Mauméjean. Partant d’une donnée avérée qu’il consigne en conclusion de son livre – « Freud et Houdini se trouvaient effectivement à New York en septembre 1909 » –, l’érudit romancier en déduit une série d’événements quant à eux rien moins que certains. Aucune archive n’atteste de la rencontre entre l’illusionniste et le psychanalyste par laquelle s’ouvre le récit. De même, nulle trace ne permet de vérifier la réalité de l’aventure singulière qu’auraient ensuite vécue de concert les deux hommes. La Société des faux visages retrace en effet l’enquête menée, quelques jours durant, par l’Autrichien et l’Américain pour éclaircir les circonstances de la disparition de Stuart Vandergraaf. Et ce après que son milliardaire de père a fait appel à leurs talents hors-normes…
Semblant s’inscrire par son synopsis dans le champ du récit criminel, ce roman de Xavier Mauméjean a – comme tous ses précédents – en réalité plus qu’à voir avec les littératures de l’Imaginaire. Empreintes d’une inquiétante étrangeté allant crescendo, les investigations menées par le médecin et le magicien les mettent d’abord en présence d’une machine inédite : celle-ci reproduit l’organisation de la psyché humaine théorisée par Freud. Semblant droit sortie d’un roman d’anticipation de la Belle Époque, l’invention s’avère aussi lourde de menaces que l’effrayant asile d’un gothique « gothamien » dans lequel Freud et Houdini auront par la suite à enquêter. Hormis ces artefact et lieu au-dessus desquels plane l’ange du bizarre, le duo d’enquêteurs mettra encore à jour des pratiques chamaniques amérindiennes. Tout en croisant, fugacement, la route d’un certain Howard Phillips Lovecraft…
C’est donc une énigme criminelle aux lisières du fantastique qu’imagine Xavier Mauméjean, inscrivant de la sorte La Société des faux visages dans la fascinante lignée des récits dévolus aux détectives de l’étrange. Ce que vient encore souligner le titre de son roman sonnant comme celui d’une aventure apocryphe de Harry Dickson, le Sherlock Holmes américain magnifié par Jean Ray – et dont l’auteur est un fin connaisseur, comme l’attestent les pages qu’il lui consacre dans notre précédente livraison. À l’instar des histoires du Maître de Gand, La Société des faux visages déploie une narration « happante », confirmant pour le plus grand plaisir des lecteurs et lectrices que Xavier Mauméjean est un conteur généreux. En outre, comme dans ses fictions précédentes, l’auteur double son récit d’une réflexion passionnante sur l’imaginaire. Faisant en cela écho à des œuvres récemment parues telles Les Machines à désir infernales du Docteur Hoffman d’Angela Carter) ou Le Temps imaginaire de Christophe Carpentier, La Société des faux visages affirme en effet la toute puissance exercée par l’imaginaire sur l’humaine condition.
C’est cette vérité existentielle que met à jour l’enquête menée par ces deux connaisseurs achevés de la psyché que sont, chacun à leur manière, les protagonistes fameux de La Société des faux visages. Un geste romanesque par lequel Xavier Mauméjean conforte, avec brio, son indispensable statut de narrateur/penseur au sein du paysage de l’Imaginaire hexagonal.