Le vampire est une engeance qui, à l’instar du chiendent, pousse partout ou presque (y compris dans les pages de Bifrost ; on se reportera à notre n°60 pour s’en convaincre). Enfin, le vampire s’installe là où vivent les auteurs ayant envie d’écrire des histoires de vampires ; aussi, le mythe du vampire a-t-il quasiment fait le tour du monde. Parti de Valachie et de Transylvanie, le vampire a conquis le monde. Comme bien des gens, le vampire s’est trouvé une terre d’accueil aux Etats-Unis et tout particulièrement à Hollywood. Mais tous les émigrés européens n’ont pas gagné l’Amérique du Nord. Pablo De Santis étant argentin, on en rencontre donc aussi à Buenos Aires… Dans les années 50, en pleine dictature…
Sous la dictature, mieux vaut se tenir tranquille, ce qui convient parfaitement aux vampires locaux qui n’aspirent qu’à vivre peinards en toute discrétion, ne demandant rien à personne. « Ces êtres extraordinaires que l’on nomme “les antiquaires” vivent dans la pénombre, entourés d’objets anciens, vendent de vieux livres et sont la proie de la soif primordiale, la soif du sang », nous apprend la quatrième de couverture.
Le roman est découpé en huit chapitres correspondant à des phases bien tranchées de l’intrigue. Le personnage principal, Santiago, jeune réparateur de machines à écrire, se retrouve en charge de la rubrique ésotérique du journal où il s’est fait embaucher et devient informateur du ministère de l’Occulte qui s’intéresse aux phénomènes qualifiés comme tel. Personnellement, j’aimais beaucoup cette idée de ministère de l’Occulte dont les bureaux étaient dissimulés dans les locaux de la Poste centrale de Buenos Aires, mais Pablo de Santis a choisi de la délaisser. Après avoir été témoin d’un meurtre, Santiago va non seulement entrer en contact avec les « antiquaires », mais en devenir un à la suite d’une transfusion… Si Buenos Aires ne se réveille pas chaque matin jonchée de cadavres exsangues, cela tient à ce que les « antiquaires » disposent d’un élixir qui calme la soif primordiale. Malgré cela, certains s’intéressent à eux de beaucoup trop près à leur goût, intrigués et envieux de la longévité des « antiquaires ». La lutte s’engage dans l’ombre…
En suivant Pablo de Santis, on reste toujours à prudente distance de la violence, on la côtoie parfois, certes, mais lorsqu’on en vient à l’effleurer, c’est mine de rien, comme en passant. De la même manière que La Soif primordiale côtoie la littérature populaire, la tutoie sans s’y jeter à corps perdu. Ménageant avec brio la chèvre et le chou des effets, de Santis parvient à rester sur la berge la plus littéraire sans se perdre dans un récit insipide. Voilà un livre que l’on pourra ranger précieusement entre Le Jeu de l’ange de Carlos Ruiz Zafon et La Librairie des ombres de Mikkel Birkegaard, pour un fantastique où les livres jouent un rôle important, mais aussi parmi les meilleures histoires de vampires actuelles, non loin de La Vierge de glace de feu Marc Behm, L’Aube écarlate de Lucius Shepard ou Riverdream, roman signé par l’auteur auquel le présent Bifrost consacre un dossier. Pablo de Santis ne réinvente pas le mythe du vampire. Ces vampires contrôlant leur soif primordiale qui ont fait les choux gras de la bit-lit’ n’attendaient qu’un auteur de talent capable de leur rendre le lustre littéraire de leurs anciens modèles. Voilà qui est fait.