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Les critiques de Bifrost

La Sonde et la Taille

Laurent MANTESE
ALBIN MICHEL
624pp - 24,90 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

Conan est vieux. Perclus. Rongé par la maladie, une saloperie qui lui transforme un testicule en pamplemousse et le brise de douleur. Vieux, oui. Et moribond. À l’image de son royaume, en proie au « délitement moral, militaire et politique que chacun pouvait constater en tout lieu ». Lui, l’enfant du chaos, le barbare ayant basculé vers la loi et l’ordre, s’apprête à y retourner en un plongeon ultime. Et le corps de l’État est à l’image de celui du roi, pourri. Les ténèbres étendent leur empire…

Le roman (énorme) de Laurent Mantese est un crépuscule. Et une proposition littéraire comme il y en a peu — et moins encore en fantasy, fut-elle dark. Qui s’élabore pourtant sur un postulat on ne peut plus rebattu. Un complot, un coup d'État, une fuite. Alors ? Alors Mantese sait que l’essence première de la fantasy n’est qu’une chose : le romanesque. Servi par des personnages. Terribles, fragiles, ignobles et glorieux. Humain, en somme. Des enjeux (un royaume). Et surtout, toujours, ici : une langue. La première page du roman, ce ne sont que trois phrases. Avec un imparfait du subjonctif dès la troisième ligne. Des dialogues truculents et orduriers à foison (« Tu ressembles à une puterelle qui goberait des couilles pour la première fois »), du sang, de l’ichor, du foutre, des humeurs de tout genre, de tout acabit, de la merde et encore du sang. Et encore du foutre. Il y a du Tim Willocks de La Religion dans ce Mantese-là, du Cormac McCarthy un peu aussi, sans doute — et aussi surprenant que cela puisse paraître, comme le souligne avec aplomb la quatrième de couverture. La Sonde et la taille est une proposition, on l’a dit. Qui ne manquera pas de cliver et que d’aucuns et d’aucunes détesteront. Chez Mantese, c’est entrée, plat, dessert et pousse-mémé à tous les étages. Et on y retourne, et encore, et encore. Quitte à en dégueuler. La ligne de crête est étroite entre le sublime et le grotesque, et il arrive à l’auteur de vaciller. Il faut avoir envie de lire le compte rendu d’une opération chirurgicale par le menue, l’exérèse d’un calcul dans l’urètre écrite comme un combat, trente pages harassantes. Mais sincèrement, quelle audace. Quelle ambition ! Si La Sonde et la taille était un opéra, il serait assurément signé Wagner. S’il était une église, ce serait la Sagrada Familia. Et c’est long. Si long. Sans que pourtant, pour peu qu’on adhère à la proposition (encore), jamais on ne s’ennuie. Ici, l’épique n’est pas dans les combats à l’épée, ou en tout cas pas seulement (le premier intervient page 170). Il est partout, tout le temps, perpétuel. Son héros ne cessera jamais de lutter, du début à la fin, contre le mal qui le ronge, son entourage, la nature, l’effondrement moral.

Laurent Mantese, prof de philo de son état, publie depuis 2011. Chez Malpertuis et La Clé d’Argent, deux petites maisons spécialisées dans le fantastique ancien peu diffusées. Gageons que beaucoup le découvriront ici. Et quelle découverte ! Si vous avez aimé le Pierre Pelot de C’est ainsi que les hommes vivent, n’hésitez pas un instant. Car si La Sonde et la taille n’est sans doute pas un roman exempt de défauts (un poil long, quand même, un tantinet surécrit, çà et là, malgré tout), la sincérité, l’ambition, la puissance qui s’en dégage emportent tout. Robert E. Howard peut reposer en paix. John Milius peut ranger sa Winchester 94. La relève est assurée. Elle est française. Et elle s’appelle Laurent Mantese. Respect.

 

 

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