Marlon JAMES
ALBIN MICHEL
720pp - 25,90 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Après le remarqué et acclamé Léopard noir, loup rouge (cf. Bifrost n°109), voici sa suite Moon Witch, Spider King devenue La Sorcière de lune dans sa traduction. Sans trop s’attarder sur des considérations éditoriales, notons qu’au-delà de la rupture du titre en chiasme (qui se poursuivra dans la conclusion à paraître, White Wing, Dark Star), le choix de l’illustration de couverture tranche radicalement avec celle de Léopard… Un tel virage en court d’édition d’une trilogie interroge.
Ce deuxième tome peut se lire avant le précédent car la quête au cœur de Léopard… est également ici abordée, dans les 150 dernières pages, mais cette fois du point de vue de Sogolon, la sorcière de lune du titre — qui se défend d’en être une. De l’avis de Marlon James, il serait même conseillé de commencer la trilogie par ce volume.
L’auteur poursuit donc ici son grand œuvre de fantasy dans son Afrique imaginaire, syncrétisme d’ingrédients culturels des quatre coins au sud du Sahara. Le livre s’ouvre sur la jeunesse de Sogolon, martyrisée par ses frères la tenant pour responsable de la mort de leur mère. Violence et domination masculine sont immédiatement présentes, et ne quitteront pas le récit. La suite est une histoire de fuites pour survivre et de périodes de développement des forces de notre protagoniste : physiques mais aussi magiques. Sogolon observe le monde et comprend ce que l’on attend d’elle, suivant le type de femme auquel on l’associe au gré des situations. Mais elle s’en moque, ou plutôt refuse ces assignations avec tout le panache et toute la détermination possible. Une réplique résume parfaitement une des idées au cœur du livre : « La seule différence entre une sorcière et une femme qui ne l’est pas, c’est la bouche d’un seul homme. »
Marlon James dresse une galerie de personnages inoubliables, tous pleins de nuances… À une notable exception près : l’ombre du Roi-Araignée, l’Aesi, figure ultime de l’antagoniste, promoteur de l’idée d’une « menace sorcière », ordure surpuissante et apparaissant comme insaisissable. Des enfants sont présents tout au long du récit, de Sogolon elle-même, enfant sans nom aux prises avec ses frères tortionnaires, au « garçon » de la quête, en passant par les terrifiants Sangomin, répandant terreur et chaos dans Fasisi, et une kyrielle d’autres encore.
La narration est moins entrecoupée de récits annexes enchâssés que dans Léopard…, où le narrateur Pisteur nous promenait dans un vrai jeu de pistes, et s’inscrit sur une temporalité différente, plus longue (Sogolon affirme avoir plus de 300 ans) et bien plus linéaire. La violence est omniprésente, comme le sexe (lui aussi régulièrement violent) et l’humour, principalement dans les joutes verbales. La cruauté et le malaise accompagneront la lecture.
Peut-être moins foisonnant que Léopard noir, loup rouge, mais plus déterminé, à l’image respectivement de Pisteur et Sogolon, La Sorcière de lune est un roman éprouvant qui présente une héroïne à la force impressionnante, arrachant toujours le moindre centimètre de liberté possible, pour tenter de l’agrandir encore, encore et toujours. Une trajectoire faite de coups et d’épreuves, de luttes et d’empowerment, de batailles mémorielles et de combats pour la vérité. Celle de Sogolon. En attendant la suivante.