Alastair REYNOLDS
BRAGELONNE
576pp - 25,00 €
Critique parue en octobre 2015 dans Bifrost n° 80
Le premier tome de la trilogie « Les Enfants de Poséidon » fait l’effet d’une madeleine de Proust. Du genre à briser une étagère avec ses cinq cents pages bien tassées. La Terre bleue de nos souvenirs réveille en effet une ribambelle de réminiscences relevant d’une science-fiction progressiste, un brin naïve, tournée vers l’exploration des étoiles, découverte de civilisation extraterrestre comprise. De quoi faire retomber illico le quadragénaire à l’époque de l’âge d’or, quatorze ans en gros… Encore faut-il supporter plus d’une centaine de pages au rythme mollasson. Passé ce cap ennuyeux, Alastair Reynolds nous convie à un périple à travers le système solaire, de la Terre à la ceinture de Kuiper, via la Lune, Phobos et Mars. Un jeu de piste pendant lequel se dévoile la géopolitique du XXIIe siècle et des secrets de famille.
Ayant surmonté les périls qui la menacent, bouleversement du climat, guerres des ressources et mouvements migratoires chaotiques, bref, après avoir conjuré son penchant pour l’autodestruction, l’humanité se développe désormais paisiblement sous l’égide du Mécanisme, un Big Brother débonnaire, du genre à prescrire une séance de psy après avoir dispensé sa fessée au contrevenant. Si le caractère potentiellement oppressif du système ouvre un boulevard à d’éventuels développements romanesques, il ne figure pas au rang des préoccupations de l’auteur britannique qui préfère l’évacuer au profit de sa marotte : l’exploration spatiale. La criminalité et la violence étant ravalées au rang de comportements en voie de disparition, les Etats se sont dilués dans une sorte de gouvernance mondiale terrestre et aquatique. Existent-ils encore ? On ne sait pas. Tout au plus apprend-on que l’Afrique, l’Inde et la Chine sont désormais à l’avant-garde et que transhumanisme et panspermie figurent parmi les options d’évolution défendues par une frange non négligeable de l’humanité. Dans ce monde hyperconnecté, où il est possible de projeter son esprit dans un avatar mécanique, mais où on se méfie des intelligences artificielles, les ressources de l’espace proche irriguent une économie dominée par les transnationales comme celle de la famille Akinya. La mort d’Eunice, l’aïeule de la famille, fait resurgir des secrets que ses héritiers avaient choisi d’ignorer depuis la réclusion volontaire de leur grand-mère sur une station spatiale isolée. Elle fournit l’argument de départ au présent volume.
Comme Stephen Baxter, Alastair Reynolds est convaincu que l’avenir de l’humanité passe par l’espace. Cette conviction sous-tend l’ensemble de La Terre bleue de nos souvenirs, où l’auteur recycle les thématiques classiques du genre. Car on a bien l’impression qu’il écrit l’œil dans le rétroviseur, tant les images évoquées suscitent comme un air de déjà-vu. En dépit de quelques moments forts, on pense notamment au passage dans l’Evolvarium martien, l’intrigue traîne en longueur sans que rien ne vienne la relancer, ni les caractères falots — une belle galerie de têtes à claques, pour parler poliment —, ni les ressorts émoussés d’une science-fiction à l’ancienne, ni enfin les péripéties d’une histoire finalement très convenue et prévisible.
Aussi, en l’attente du deuxième volet de la trilogie intitulé On the Steel Breeze, réservons notre jugement, même si Alastair Reynolds semble se contenter ici d’une science-fiction au premier degré, sans aucune prise de risque. Une science-fiction où l’imagination se révèle percluse de nostalgie.