Garry KILWORTH
MNÉMOS
331pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49
Kilworth termine sa trilogie comme il l'avait entamé : par un beau voyage. L'envahissement d'Albainn (la Terre de Brumes du titre), longtemps projeté, a reçu l'aval des dieux Océaniens, avides d'en découdre avec ceux des hommes blancs. Le roi Kieto a rassemblé une flotte immense qui s'apprête à braver les mers du destin. Occasion pour l'auteur de convoquer une dernière fois ses personnages — ou leurs mânes. À l'image du celte Seumas, les héros sont devenus vieux. Tragédie pour le guerrier fatigué : pourra-t-il laisser les Océaniens envahir le pays dont il est issu ? Las. Il ne verra pas l'invasion, ni même la fin du voyage. « Veille sur mon peuple », enjoint-il à son fils Craig (le Kumiki du second volume). Oui, mais lequel ? Le Celte ou l'Océanien ?
Au-delà des affrontements entre les représentants des deux civilisations (plus théâtralisés que féroces d'ailleurs), c'est cette injonction d'une douce ambiguïté qui amène les développements les plus intéressants. L'âme du père, prisonnière de son dilemme, appelle le fils métis à la libérer. Le périple de Craig est donc à la fois physique et intérieur. Dans les songes, les mythes et la géographie du monde celte, c'est la trace de ses origines qu'il recherche, son identité oubliée.
Comme il en va d'ordinaire dans ce genre de récit initiatique, il y a des épreuves à franchir, des monstres formidables, de longues séquences d'exploration, des artefacts fabuleux, beaucoup de magie. Le ton est shakespearien ; la morale nettement plus convenue. « Certains quittent leur terre pour chercher le savoir plutôt que la conquête. Voilà la vraie nature de la quête de l'humanité. » À la fin, Celtes et Océaniens doivent s'allier pour repousser d'autres envahisseurs moins scrupuleux. Puis chacun de rentrer chez lui, apaisé et plus sage.
Si le dénouement est moins spectaculaire que ne le laissaient présager les épisodes précédents, Kilworth est suffisamment habile et malin pour capter l'attention du lecteur et lui asséner jusqu'au bout sa grande idée : une sorte de colonisation à l'envers, une pirouette faite à l'histoire où l'exploration du monde aurait pris sa source ailleurs qu'en Europe ; avec des explorateurs à la fois moins conquérants et plus spirituels que ceux dont les livres ont gardé le nom.
C'est bien évidemment une utopie impossible, comme seuls en ont rêvé les poètes… Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage/Ou comme celui-là qui conquit la Toison,/Et puis est retourné plein d'usage et raison,/Vivre entre ses parents le reste de son âge !