La Trilogie de l’Espace rassemble trois des premiers romans d’Arthur C. Clarke : Les Sables de Mars (1951), Les Îles de l’espace (1952) et Lumière cendrée (1955). Ces romans furent-ils d’emblée conçus par Clarke comme un ensemble ? On peut se poser la question… Ce n’est en effet qu’en 2001 que l’éditeur britannique Gollancz les rassembla en un volume omnibus intitulé The Space Trilogy. Dans sa préface, Clarke n’évoque par ailleurs aucun projet initial de trilogie formée par ces romans, aux protagonistes et aux récits indépendants les uns des autres, s’inscrivant dans des temporalités différentes, et dont le seul point commun est d’avoir pour motif celui d’une exploration spatiale plus ou moins lointaine…
La Trilogie s’ouvre par Les Îles de l’espace, se déroulant pour l’essentiel entre notre planète et la Lune. Son héros, Roy Malcolm, est un adolescent de la première moitié du XXIe siècle. Nullement dystopique, le brillant futur imaginé par Clarke est celui d’une humanité au faîte de son génie scientifique et de son désir d’exploration. L’une et l’autre lui ont permis de conquérir les astres (la Lune, Mars) comme le vide les séparant, y installant des stations spatiales. Roy en découvre certaines, après avoir remporté un jeu télévisé lui offrant un ticket pour la « Station intérieure ». Tel est le nom d’un considérable satellite artificiel situé entre Terre et Lune, où celui qui a « toujours follement désiré aller faire un tour dans l’espace » va s’initier à la vie d’astronaute. Ce ne sera cependant que la première de ces Îles de l’espace qu’abordera Roy. D’imprévus événements l’emmèneront vers « l’Hôpital spatial » puis la « Station résidentielle », approchant entre temps «Stations météo » et autres « Stations relais ». Et c’est fort de la connaissance de ces différentes Îles de l’espace que Roy regagnera in fine la Terre…
Le héros des Sables de Mars ne reviendra quant à lui jamais. En effet, Martin Gibson est un auteur de science-fiction à succès de la fin du xx e siècle. Pour celui qui n’a encore jamais quitté la Terre, l’espace ne fut longtemps qu’un objet littéraire et spéculatif. Mais on lui propose d’embarquer sur l’Arès, un vaisseau assurant la liaison entre les planètes bleue et rouge. Cette dernière a non seulement été abordée, mais aussi colonisée. Adoptant pour l’essentiel le point de vue de Martin, le roman retrace d’abord son périple vers Mars. Là, il découvre « ce qui, à peine un siècle plus tôt, ne représentait encore qu’un monde mystérieux et inaccessible, mais qui, à présent, [est] devenu la nouvelle frontière de l’espèce humaine. » Mars est cependant loin d’avoir livré tous ses secrets. Gibson aidera à en mettre à jour quelques-uns, se prenant ainsi de passion pour un monde sur lequel il décidera de rester.
Le dernier volet de la Trilogie nous ramène sur la Lune. D’une tonalité plus sombre que les deux titres précédents, Lumière cendrée se déroule au XXIIe siècle, époque à laquelle le cosmos est en passe de se muer en champ de bataille. S’y opposent la Terre et une Fédération réunissant Mars et d’autres colonies humaines dispersées à travers le Système solaire. Le conflit se cristallise autour de la Lune, appartenant à la Terre, mais dont les inédites ressources minérales excitent la convoitise de la Fédération. C’est là qu’est envoyé le terrien Sadler. Espion de son état, il est chargé d’identifier un membre de la communauté lunaire, devenu agent de la Fédération. En dépit d’une longue enquête, notamment parmi les astronomes ayant fait de la Lune leur laboratoire, Sadler échouera à débusquer le traître. Les informations livrées par celui-ci permettront alors à la Fédération de déclencher la première bataille des planètes de l’Histoire, dont l’issue fondera un nouvel ordre intergalactique…
Le final scientifico-guerrier de Lumière cendrée constitue le morceau de bravoure d’une Trilogie par ailleurs bien chiche en tension narrative… La faute en incombe sans doute à l’intention somme toute peu littéraire qui prévalut à la conception de ces romans. En introduction, Clarke rappelle qu’ils datent d’un temps où l’Astronome royal britannique lui-même ne voyait dans les voyages spatiaux que des «balivernes ! ». Les Sables de Mars, Les Îles de l’espace et Lumière cendrée furent donc conçus, selon les mots mêmes de Clarke, comme une forme de « propagande [destinée à] convaincre un public sceptique ». Avant tout désireux de peindre avec le plus de crédibilité la vie en apesanteur, Clarke enchaîne des vignettes spéculatives, mollement reliées entre elles par des fils romanesques ténus. Les amateurs et amatrices de hard-science arpenteront peut-être avec intérêt cette galerie (parfois) visionnaire qu’est la Trilogie. Quant à celles et ceux qui goûtent avant tout les plaisirs de la fiction, leur lecture risque de tourner court…