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Les critiques de Bifrost

La Vallée du temps profond

Richard COMBALLOT, Katia ALEXANDRE, Michel JEURY, André-François RUAUD, Patrice SANAHUJAS
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
496pp - 26,00 €

Critique parue en mai 2008 dans Bifrost n° 50

Magnifique pavé qui comblera les fans de Michel Jeury, La Vallée du temps profond fait assurément partie des livres qui durent. Format carré, épaisseur de bon aloi, maquette impeccable et illustration soignée font de ce recueil de nouvelles un objet aussi superbe qu'alléchant, d'autant que les Moutons électriques inaugurent avec lui une toute nouvelle collection, « La Bibliothèque voltaïque », qui démarre clairement sous les meilleurs auspices (avec un Colin en approche, notamment, ce dont personne ne se plaindra). Dire que de nombreux lecteurs attendaient avec impatience le retour de Michel Jeury est un doux euphémisme. Parti depuis vingt ans sous d'autres latitudes littéraires (le roman paysan), Jeury nous revient en grande forme et choisit le moment où (hasard ou perversité ?) Alain Robbe-Grillet décide, lui, de partir définitivement. Le rapprochement entre Jeury et le Nouveau Roman n'est pas aussi saugrenu qu'il y paraît, tant les techniques littéraires de certains textes (Le Temps incertain, pour ne pas le nommer) ressemblent aux exigences esthétiques de ce courant intellectuel qui mérite le détour. Jeury nous revient, certes, mais les textes rassemblés ici n'ont rien de récents (quasiment tous ont déjà été publiés ici ou là), et si deux sont inédits, le lecteur curieux cherchera plutôt ici une sorte de recueil raisonné couvrant l'essentiel d'une œuvre en quelques textes essentiels. Des textes qui, on s'en doute, abordent le décidément très joli concept de la Chronolyse, trouvaille narrative qui rejoint l'esthétique dans la répétition déviante d'une boucle temporelle se dégradant peu à peu. Ailleurs, c'est le sexe qui prédomine, les relations hommes/femmes et d'autres thèmes profondément ancrés dans l'imaginaire des années soixante-dix. Cette datation ne manque certes pas de charme, mais les lecteurs modernes (entendre « nouveaux ») de Jeury risquent d'être déroutés par une plume de haute tenue, bien sûr, mais passablement vieillotte. Si la prose de Jeury ne manque pas de charme, elle risque de lasser ceux qui ont « commencé à lire » un peu plus tard et qui ont totalement intégré les nouveaux codes narratifs (en S-F ou ailleurs). D'où la tentation de réserver La Vallée du temps profond aux inconditionnels, même si on a tout de même tendance à le recommander à tout le monde, notamment pour son aspect historique, son intelligence, sa profonde humanité et son indéniable beauté. Car Jeury cisèle ses phrases et peaufine ses scénarios. Ici, pas de roue libre, mais l'œuvre habile d'un artisan du verbe qui sait pertinemment où il va et — surtout — où il emmène son lecteur… Quant au voyage, il est déroutant par endroits, mais il vaut largement le détour. Pour accompagner le novice comme l'habitué, les Moutons électriques ne font pas les choses à moitié : préface de Serge Lehman, analyse d'André-François Ruaud, préface à l'édition américaine du Temps incertain par Theodore Sturgeon himself, sans oublier la cerise sur le gâteau, une courte (ou moins courte, d'ailleurs) notice de Jeury en fin de volume expliquant le contexte (créatif, biographique, éditorial etc.) de chaque nouvelle. Une véritable mine.

Au final, La Vallée du temps profond est un recueil important, dont l'ampleur et la densité permettent au lecteur d'y revenir régulièrement, tout heureux d'y trouver à chaque fois de nouveaux niveaux de lecture. Un recueil qui fait date, un recueil qui dure, c'est exactement la définition de « La Bibliothèque voltaïque ». Longue vie.

Patrick IMBERT

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