Edgar Allan Poe a écrit trois récits situés à Paris au début du XIXe siècle, « Double assassinat dans la rue morgue », « La Lettre volée » et « Le Mystère de Marie Roget », trois enquêtes ou énigmes qui mettent en scène Dupin, une sorte de Sherlock Holmes français. René Reouven a pris le parti de lier ces trois histoires, de les situer précisément d'un point de vue historique et d'en faire une affaire racontée par Aurore Dupin, baronne Dudevant, dite Georges Sand.
Cette Vérité sur la rue Morgue est un délice pour peu que l'on se souvienne parfaitement des trois nouvelles de Poe que l'éditeur Flammarion a eu la très bonne idée de placer en queue d'ouvrage — dans le cas contraire, relisez-les avant de plonger dans l'hommage. Avec une plume parfaite et des dialogues d'une maîtrise insolente, Reouven nous entraîne dans une mécanique d'une rare précision où l'on retrouve l'orang-outan de la rue Morgue, un rasoir qui sera bientôt couvert de sang, une lettre d'une grande importance, une femme morte ligotée et jetée dans un canal. Mais l'auteur des Grandes profondeurs va plus loin, il nous promène dans le Paris interlope du choléra, des voyous et de la vente de l'eau gérée par les « auvergnats ». Il nous entraîne à la rencontre d'un Vidocq qui n'est plus à la Sûreté, nous fait fréquenter Gérard de Nerval et Théophile Gautier, évoque Lamarck, Erasmus Darwin et Buffon. Au total, voici une Vérité sur la rue Morgue qui s'impose rien moins que comme le plus beau livre de Reouven depuis Voyage au centre du mystère (Denoël), où il mettait en scène Jules Verne.
Johan Heliot — qui lui aussi s'est bien amusé avec les personnages de Jules Verne et de Vidocq — a un père spirituel ; il serait amusant que les deux écrivains se rencontrent autour d'un verre d'absinthe pour parler de ces temps merveilleux où l'on « chassait le dragon » dans les fumeries des grandes capitales européennes.
François-Eugène Vicious