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Les critiques de Bifrost

La Vie de l'explorateur perdu

Jacques ABEILLE
TRIPODE (LE)
304pp - 19,00 €

Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101

Critique commune à Les Carnets de l’Explorateur perdu et La Vie de l’Explorateur perdu.]

Grâce soient rendues aux éditions du Tripode pour avoir entrepris d’éditer et de rééditer, avec autant de patience que de passion, l’œuvre de Jacques Abeille ressortissant au « cycle des Contrées ». Étrange cycle que celui-ci, rappelant par moment aussi bien Le Rivages des Syrtes de Julien Gracq que En attendant les barbares de J.M. Coetzee, dans la beauté de son écriture et ses descriptions de pays imaginaires. Entamée voici près de quarante ans avec Les Jardins statuaires, cette œuvre à nulle autre pareille promène le lecteur entre cette région où l’on cultive les statues et la ville de Terrèbre, au fil de livres se faisant écho et s’entremêlant en un jeu de miroirs, au gré de narrateurs tour à tour archivistes, voyageurs ou explorateurs. Avec les deux ouvrages, aux couvertures signées François Schuiten formant un beau panorama, parus en ce mois d’octobre 2020, le cycle trouve sa conclusion.

Au cours des « Contrées », motifs et personnages reviennent avec insistance. Parmi les figures récurrentes du cycle se trouve l’ethnologue Ludovic Lindien, jeune homme à l’ascendance incertaine (et au cœur des Voyages du fils, tome 3 du cycle). Les Carnets de l’explorateur perdu a pour principal mérite d’enfin rassembler en un même volume divers textes parus de façon éparse au fil des années, censément écrits par ce Ludovic. Plaisant à lire, ce recueil souffre néanmoins de son aspect disparate. Plus grande était l’attente au sujet de La Vie de l’explorateur perdu, qui clôt le cycle. Comme son titre l’indique, ce volume s’attache à retracer la vie de Ludovic Lindien, mais aussi à nouer les derniers fils de l’intrigue. Nous voici à Terrèbre, cité-État d’abord conquise par une peuplade de cavaliers barbares puis, une fois libérée, sur la pente glissante de l’autoritarisme. Le narrateur en est d’abord le meilleur ami de Lindien avant que la plume ne soit reprise par l’archiviste de La Clef des ombres (volume annexe du cycle, réédité par le Tripode en mars 2020), désormais bibliothécaire à Terrèbre et missionné par sa supérieure pour enquêter sur Léo Barthe, un obscur pornographe, auteur entre autres des très érotiques Chroniques scandaleuses de Terrèbre (tome 4 du cycle). Tandis que l’archiviste noue une relation plus sensuelle que sentimentale avec sa cheffe, il suit de loin en loin les entreprises du jeune Ludovic : l’écriture d’une biographie de son père (Le Veilleur du jour, tome 2 du cycle), ses voyages ( Les Carnets…), ses retrouvailles avec un vieux professeur (auteur du diptyque Les Barbares/La Barbarie, tomes 5 et 6). Au fil des pages, cet ultime opus fait le lien avec tous les ouvrages du cycle, réaffirme les obsessions livresques et érotiques de leur auteur, et s’autorise quelques échos, peut-être maladroits par endroit, avec le monde réel. Cette Vie…, qui ne parlera qu’à ceux ayant lu tout le cycle, alterne entre le récit de l’archiviste et l’existence de Ludovic, au fil d’une intrigue louvoyante. Manière de récapitulatif, ce roman délaisse l’émerveillement des Jardins statuaires, le souffle des Barbares ou la dystopie de La Barbarie, pour un récit plus intimiste et crépusculaire marqué par l’amertume. Un point final en demi-teinte pour le magnum opus de Jacques Abeille.

Erwann PERCHOC

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