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              LE BÉLIAL'
               400pp                -                24,90 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
Nouvelle venue dans la collection « Quarante-Deux » du Bélial’, Suzanne Palmer n’a pas à rougir de la comparaison avec ses prédécesseurs qui ont fait de cette collection l’une des références de la SF actuelle. On pourrait même se dire que cette Vie secrète des robots répare enfin une anomalie éditoriale : comment une autrice aussi intéressante que Palmer peut-elle être inédite en France (hormis une nouvelle publiée en avant-première dans Bifrost) tant l’étendue de la palette des talents de l’autrice s’avère manifeste à la lecture de ces treize nouvelles ? Le texte qui ouvre le recueil en lui donnant son titre (presque, en fait) est un petit bijou d’aventures trépidantes et d’astuce, où les robots en question, des fourmis accomplissant des tâches élémentaires au sein d’un vaisseau gigantesque, s’en donnent à cœur joie, et où l’on sourit souvent, quand bien même on est en temps de guerre et que la mission du vaisseau est à ce titre vitale. Changement de registre dans le deuxième texte, « Vol de retour », car si l’action est toujours au rendez-vous, le ton est cette fois plus grave au sein de ce groupe de mineurs d’astéroïdes assujettis à un ordre moralisateur d’une extrême sévérité, et où il ne fait pas bon être une femme… L’écriture, de vivace dans ces deux textes, se fait plus mélancolique dans les suivants, comme avec « Dix poèmes pour les mossums, un pour l’homme », où un homme a accepté le poste de surveillant d’une planète, ce qui lui permet d’assouvir son goût pour la solitude tout en s’essayant à l’écriture de poèmes en observant faune et flore locales. Dans « Pierres dans l’eau, cottage sur la montagne », à la structure faite de répétitions et de décalages, une femme se remémore la déchirure de son couple sur fond de fin du monde. « Peintre d’arbres » est une terrible description de la colonisation, qui détruit les civilisations autochtones sur l’autel du progrès. On y trouve aussi une pièce de théâtre sur les robots, hommage évident à Karel Capek. Ce recueil est ainsi une vraie révélation qui alterne entre léger et grave, le rythmé et le contemplatif, avec une inventivité jamais démentie. Et si les robots — et les créatures mécaniques au sens large — sont au centre de nombre des textes, ceux-ci sont également irrigués par une préoccupation constante pour la définition de l’humain, même si celui-ci est constitué à un tiers de prothèses cybernétiques (« Joe 33% ») ou singé par un agrégat de bots (« Les Bots de l’arche perdue », qui clôt le volume en reprenant les personnages du texte inaugural, manière de boucler la boucle). Certaines nouvelles font penser à Ursula Le Guin dans leur description ethnologique, d’autres à Stanley Weinbaum dans sa création de créatures extraterrestres, c’est dire si la palette est large, et si l’on recommande chaudement la lecture de l’ensemble. En attendant la publication d’autres textes courts de Suzanne Palmer ; il en reste encore pas mal, y compris des lauréats de prix littéraires prestigieux — ce qui n’empêche pas le présent recueil de proposer tout de même deux Hugo. Tant mieux !
Bruno PARA