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Les critiques de Bifrost

La Vie sexuelle des super-Héros

Marco MANCASSOLA
GALLIMARD
552pp - 24,90 €

Critique parue en avril 2011 dans Bifrost n° 62

En règle générale, littérature et super-héros ne font pas bon ménage. Hormis une poignée de réussites comme la nouvelle « Ubermensch ! » de Kim Newman, les tentatives sont peu nombreuses et rarement concluantes. Dernier à s’y être cassé les dents, Austin Grossman, dans son roman Un jour je serai invincible, se montrait incapable de choisir entre relecture moderne à la Watch-men et hommage naïf à l’âge d’or du genre.

Publié dans la prestigieuse « NRF » des éditions Gallimard, La Vie sexuelle des super-héros de l’Italien Marco Mancassola nous est vendu comme une « vaste fresque post 11 septembre » (de nos jours, la moitié des romans qui paraissent sont de vastes fresques post 11 septembre. Il serait temps qu’un éditeur courageux ose enfin publier le premier livre de recettes de cuisine ou de conseils en bricolage post 11 septembre) et comme « le récit de la fin d’un monde, celui des super-héros, et d’une civilisation ». C’est dire si on n’est pas là pour rigoler avec des andouilles bariolées portant leur slip par-dessus leur justaucorps.

La particularité de ce roman est de mettre en scène de véritables super-héros, dont même les non lecteurs de comics auront sans doute déjà entendu parler : Batman, Superman, Mr. Fantastic, Mystique ou Namor. L’idée est a priori séduisante. En réalité, les personnages de Mancassola ne partagent guère que le nom et quelques vagues superpouvoirs avec ceux dont ils sont censés s’inspirer. Dans le cas de Batman, on est même tenté de mettre l’erreur de casting sur le compte d’une coquille, tant le portrait qui nous en est fait rappellerait plutôt Jason Bateman, le héros d’American Psycho.

Le roman se déroule vingt ans après que les super-héros sont passés de mode et que tout ce petit monde s’est diversement reconverti : Mr. Fantastic est consultant pour la NASA, Mystique et Namor animent un show à la télévision, Superman tente de passer le flambeau à la nouvelle génération. Tous sont de vieilles gloires et ont troqué leurs aventures épiques contre de ternes existences. Et sexuellement les choses ne vont guère mieux. L’ancien leader des Quatre Fantastiques s’est entiché d’une jeune femme de trente ans sa cadette, Batman, après la mort de son amant Robin, enchaine les conquêtes d’un soir, Mystique se cantonne aux plaisirs solitaires. Allant du pathétique au sordide, leurs peines de cœur laissent sourdre une profonde lassitude qui va très vite contaminer l’ensemble du roman et provoquer chez le lecteur bâillements et soupirs.

Quel objectif espérait atteindre Mancassola avec ce livre ? Briser quelques tabous ? Voilà plus de quarante ans que les super-héros se marient et font des enfants, vingt ans qu’ils révèlent en public leur homosexualité. Et pour ce qui est des pratiques moins avouables — le supposé clou du spectacle ici est un fist-fucking pratiqué tout en délicatesse sur Batman —, on se tournera plus volontiers vers l’œuvre du scénariste Garth Ennis qui, de The Pro à The Boys, n’aime rien tant que de leur faire subir les derniers outrages.

L’auteur ne semblant pas porter le moindre intérêt à l’univers des comics, on se demande pourquoi avoir choisi de mettre en scène de tels personnages, plutôt que quelques stars déchues des médias ou du show-biz. D’ailleurs, la seule partie du roman qui fonctionne est celle délaissant les super-héros pour s’intéresser à l’histoire d’une mère de famille ordinaire sacrifiant sa vie à ses enfants. Dans cette partie, Mancassola parvient enfin à sortir le lecteur de sa torpeur et à éveiller quelques émotions.

D’une pauvreté d’imagination affligeante, pas spécialement bien écrit, La Vie sexuelle des super-héros se lit au mieux avec un ennui poli, du genre dont il est nécessaire de s’armer pour aller prendre le café chez mémé un dimanche après-midi de novembre.

Philippe BOULIER

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