Repris en poche après une première édition chez Métailié (dont on ne se lasse pas de vanter la justesse de vue éditoriale), La Villa des mystères est une œuvre courte, issue de l'imagination délirante et débridée d'un auteur argentin inconnu sous nos longitudes. C'est l'occasion pour le lecteur francophone de faire une incursion jubilatoire du côté du fantastique « Rio de la Platesque », genre très particulier dont les plus illustres représentants s'appellent Borges, Cortazar ou Quiroga. C'est qu'à l'instar des anglais (et au contraire des français, décidément irrécupérables), les sud-américains n'ont pas de problèmes de conscience post-idéologique à l'idée d'écrire (et à fortiori, de lire) du fantastique, allant même (quelle impudence) jusqu'à classer parmi leurs classiques des œuvres qui relèvent purement et simplement de ce genre si décrié dans nos contrées.
De fait, le lecteur se plongera avec délectation dans ce hold-up littéraire qu'est La Villa des mystères. Hold-up, car il y est question d'une des plus grandes supercheries de l'histoire de la littérature (dont on s'abstiendra évidemment de souffler mot ici), hold-up car Federico Andahazi manie la plume avec une telle légèreté qu'il est impossible de lâcher la chose avant de l'avoir lue jusqu'au bout (voire relue).
Situé au tout début du XIXe siècle, La Villa des mystères gravite autour du fameux séjour à la Villa Diodati de cinq personnages peu recommandables, lesquels se donnent comme défi littéraire d'écrire la meilleure histoire de fantastique gothique qui puisse se concevoir. Vous l'aurez compris, il s'agit là de Percy et Mary Shelley, Lord Byron et Claire Clairmont, tous quatre flanqués du sombre docteur Polidori, raté patenté et secrétaire jaloux de Byron.
De ce séjour tout sauf anodin naîtra l'un des plus grands romans de la littérature contemporaine, Frankenstein ou le Prométhée moderne, signé Mary Shelley. En parallèle, c'est aussi l'occasion pour Lord Byron de livrer un demi-roman, jamais achevé, dont le thème sera repris par Polidori (au très grand agacement de Byron, qui l'avait renvoyé depuis peu) à l'occasion de son chef-d'œuvre Le Vampire. Voilà pour la vraie réalité de la vraie vie.
Dans le roman de Andahazi, les choses se découpent selon l'Histoire, mais sont vues à travers le prisme (déformant) du fantastique. Polidori y joue le rôle d'un homme frustré, brûlant d'accoucher du chef-d'œuvre qui lui ouvrira enfin les portes de la gloire, lui donnant ainsi la juste revanche dont il rêve depuis des années sur son patron/rival Byron.
Alors que le docteur Polidori est l'objet des moqueries des autres convives du séjour, alors que la tempête se déchaîne sur le lac Léman et que la Lune gibbeuse inonde la lande de gouttelettes photoniques blanchâtres (il faut faire gothique, on vous dit), une manifestation surnaturelle change le cours du roman (une manifestation qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le très délirant Pizzeria Inferno de Michele Serio publié là encore — mais est-ce vraiment un hasard ? — chez Métailié).
Rongeant son frein dans le placard puant qu'on lui a assigné comme chambre, Polidori trouve une étrange lettre, écrite par un monstre, qui lui conte l'histoire pleine de stupre et de fornication des jumelles Legrand. Affamées de sexe et de sperme, les deux sœurs (désormais vieilles) n'ont-elles pas un secret à cacher ? Et quel funeste pacte acceptera Polidori en obéissant à ces mystérieuses lettres ?
Si le propos tient évidemment du roman gothique, Andahazi s'amuse énormément à nous décrire les scènes pornographiques les plus rudes avec une plume très XIXe siècle. On rit beaucoup, on tremble parfois, mais on reste stupéfait par la maestria avec laquelle l'auteur tisse son histoire. Chapitres courts et incisifs, haute tenue littéraire, pour un scénario évidemment abracadabrant, mais somme toute parfaitement crédible. Bref, un coup de maître pour un roman hommage à lire absolument. Félicitons au passage Folio « SF » de l'avoir inscrit à son catalogue.