Chris BROOKMYRE
DENOËL
512pp - 24,00 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Chris Brookmyre est un auteur écossais connu pour ses romans noirs mâtinés de critique sociale (chez Métailié). Avec La Ville dans le ciel, il vient aujourd’hui en SF, non sans y tricoter un récit fondé sur une intrigue policière teintée au noir.
Ciudad de Cielo, la ville dans le ciel, est une immense station spatiale en orbite terrestre dans laquelle se construit, jour après jour, l’avenir de l’espèce humaine. On y imagine et on commence à y concevoir l’Arca Estrella, un vaisseau arche qui, un jour lointain, emmènera des colons vers une exoplanète accueillante. Zone à la souveraineté incertaine reliée à la Terre par un ascenseur spatial et la station intermédiaire Heinlein, Ciudad de Cielo, composée d’un axe qu’encadrent deux grandes roues à la gravité centrifuge et peuplée de cent mille habitants, est le fruit d’un partenariat entre les quatre plus puissantes firmes mondiales (la Quadriga) et la Fédération des Gouvernements Nationaux (FGN). En régime normal, c’est la Quadriga et sa Seguridad qui assurent le maintien de l’ordre dans CdC, mais la FGN peut y mettre son grain de sel si elle considère que la bride devient trop lâche sur le cou du service de sécurité privé. Devant l’insistance des rumeurs de corruption visant la Seguridad, la FGN décide d’envoyer une de ses « stars », le docteur Alicia Blake, afin de reprendre le contrôle de la situation. À la corruption endémique qui gangrène la station va s’ajouter, pour Blake, le premier meurtre – et quel meurtre ! – officiellement enregistré sur CdC. La jeune et très intègre cadre sup’ devra, pour pénétrer les arcanes de la cité, faire équipe avec l’une des pommes les plus pourries du seau, le sergent Nikki « Fix » Freeman. Leur duo, une incorruptible et une flic revenue de tout, sera bien sûr très dysfonctionnel ; elles devront faire avec.
Au fil d’une enquête policière, au cœur de la corruption ambiante et d’une machination ancienne, qui vire rapidement au thriller, Brookmyre décrit un « paradis » qui s’avère être un enfer ultralibéral. Des travailleurs pleins de rêves ou fuyant un passé à oublier, des salaires pour l’essentiel très faibles, une Terre si lointaine qu’il est hors de prix d’y retourner, tout le monde est obligé d’avoir au moins deux jobs pour survivre (dont au moins un illégal ou immoral). Dans des TAZ (zones autonomes temporaires) locales de fait sur lesquelles la Seguridad ferme les yeux se développe une économie parallèle de la survie, par l’exploitation des plus pauvres par les presque aussi pauvres, entre trafics variés, prostitution, racket, combats clandestins, etc. Nikki fait partie de ceux qui assurent la protection de ces activités, contre rémunération ; et officiellement, personne ne sait rien en haut lieu, alors même que ces innombrables infractions – jusqu’à la présence de « clandestins » – sont, dixit Nikki, ce qui met de l’huile dans les rouages. Le, puis bientôt les meurtres de CdC sont la goutte d’eau qui font déborder le vase et obligent la FGN à reprendre en main la station, avec l’aide involontaire des deux policières, dont l’une se retrouve vite impliquée dans l’affaire avant que l’autre le soit aussi – il faudra lire pour savoir comment.
L’approche new sheriff in town choisie par Brookmyre rappelle un peu le Outland de Peter Hyams. S’y ajoutent de pures thématiques SF sur la conscience, la conscience de soi et le libre-arbitre, qui évoquent Blade Runner. Le tout est rythmé, rapide, dynamique, et on tourne les pages à toute vitesse pour savoir qui a fait quoi et comment tout cela peut se terminer.
Si on lira avec plaisir ce livre pour la solidité de son intrigue et la richesse du background, on ne le fera pas, en revanche, pour la qualité, très quelconque, de l’écriture qu’on y trouvera. Qu’importe, c’est un bon divertissement.