Non, Jules Verne n’est pas mort ! Enfin, pas encore. Même dans cet avenir inventé par Jacques Martel, aseptisé au nom de notre santé ou de celle de la planète. Même dans cette société surveillée par de petits fonctionnaires médiocres se réfugiant derrière les réglementations européennes, sûrs de leur bon droit malgré leur insignifiance. Les Nains, comme le narrateur les appelle à longueur de pages. Même dans ce monde bouleversé par l’irruption d’un ver informatique d’une redoutable efficacité, vorace, heureusement stoppé par l’abondance de pornographie présente dans le Halo (un lointain descendant du Web) avant d’avoir tout détruit. Mais quand même, que de pertes ! Dont l’œuvre intégrale de Jules Verne (eh oui, le ver avait commencé à manger les données à partir de la dernière lettre de l’alphabet).
Et John Erns, le narrateur, doit retrouver ces textes. Pourquoi ? Le lecteur l’apprend peu à peu. Tout comme il comprend que cet homme n’est pas venu uniquement pour trouver un emploi : devenir majordome chez Madame Dumont-Lieber, la châtelaine du Haut-Cervent, est un simple prétexte. Mais la rencontre avec le petit fils de sa patronne, Gabriel, un jeune garçon autiste trouvant refuge dans un monde virtuel, va tout changer pour lui. Comme celle de Kurts, patron du seul bar du village proche du château, ancien pirate informatique aux idées anarchistes et au savoureux franc-parler teinté de termes anglo-saxons.
Roman à la structure parfois un peu lâche, La Voie Verne sait maintenir malgré tout l’intérêt jusqu’à un dénouement épique. Il faut cependant s’accrocher lors des monologues du narrateur, frustrants souvent car décousus et ne tenant pas toujours leurs promesses. Lors, aussi, des dialogues parfois un peu artificiels tenus à longueurs de pages par des personnages heureusement hauts en couleurs. À travers eux, l’auteur semble vouloir partager avec nous sa conception du monde. Son refus d’une bureaucratie envahissante, sourde et stupide, source de frustrations, de renoncements et d’une non-vie bien peu souhaitable : au nom de notre bien à tous, on rend l’existence de chacun morne et sans intérêt, on interdit à tous des plaisirs pourtant nécessaires à l’enthousiasme, à la passion. Et en particulier celui de la lecture de vrais livres en papier. Car pour protéger les arbres, et la planète à travers eux, le papier est réservé à l’administration. Les romans et nouvelles sont rejetés dans les limbes informatiques. De toute façon, on lit de moins en moins : le Halo rend les histoires tellement plus vivantes !
Les sympathies de l’auteur vont à l’évidence vers ses personnages refusant l’ordre stérile du monde et vivant dans le regret d’un passé enviable. Enviable par certains côtés seulement. Car Jacques Martel ne tient pas non plus un discours tranché et réac. Son narrateur confirme et regrette, par exemple, la violence du traitement fait aux femmes lors des siècles précédents. Il utilise également l’outil numérique pour ses divertissements, pour ses projets. Mais essentiellement pour tenter de retrouver des valeurs selon lui disparues : l’optimisme d’un Jules Verne dans la science et dans l’être humain. La croyance en un demain meilleur, en un avenir lumineux…
En cela, La Voie Verne mérite notre attention. Une réflexion, même un peu foutraque, parfois naïve, sur notre société, notre rapport au monde et aux autres, portée par une intrigue accrocheuse et des moments de poésie. C’est déjà ça.