Après le dilemme Nature contre Raison, et après la question de la place du Divin dans le monde, le troisième volume de « Terra Ignota » s’intéresse à l’État, en tant qu’entité politique source de conflits, et partie prenante dans une guerre. Et plus exactement au Léviathan tel que théorisé par Thomas Hobbes au XVIIe siècle, cela alors que le monde du XXVe siècle dépeint par Ada Palmer et ses diverses Ruches sont au bord de la guerre suite aux événements rapportés dans Trop semblable à l’éclair et Sept Redditions.
Comme le précise le titre du présent roman, les Ruches ont toute la volonté de se battre, mais la guerre a été abolie depuis si longtemps qu’elles ignorent comment s’y prendre. À quelle condition peut-on ouvrir les hostilités ? Selon quelles règles ? Et les crimes commis dans le passé en sont-ils réellement ou sont-ils couverts par une légitime défense pensée au niveau du corps institué que constitue une Ruche, même vis-à-vis d’individus n’en faisant pas partie ? Une fois de plus, Mycroft Canner, narrateur de moins en moins fiable et victime d’hallucinations, prenant à partie un lecteur encore plus futuriste ou non, un philosophe anglais et un héros défunt, prend la plume pour faire le récit des derniers instants avant le conflit.
Avec ce troisième tome, Ada Palmer garde une trame philosophico-juridique forte, notamment dans le discours, aussi long que ceux de Fidel Castro, qu’adresse Caesar Maçon au Sénat à mi-parcours. L’autrice accélère fort heureusement le rythme de son histoire en privilégiant l’action sur les dialogues à fleuret moucheté. La mise en retrait des membres de la famille de La Trémoïlle contribue largement à ce changement de ton. Elle permet également de mettre en lumière de nouveaux personnages tant à l’intérieur des Ruches qu’à la frange, chez les criminels ou parmi ceux qui, vivant dans les réserves, n’acceptent pas le cadre des Ruches. À condition d’accepter les deus ex machina que sont JEDD Maçon et Achille, ou du moins de surseoir à statuer sur l’incongruité qu’ils représentent, le ton de La Volonté de se battre est bien plus résolument futuriste que les deux précédents. Peut-être parce que la Ruche la plus exotique à nos yeux du xxie siècle, celle des Utopistes, y est bien plus présente avec ses animU fabuleux et ses manteaux-écrans. Peut-être également parce qu’on s’éloigne des salons et autres boudoirs de discussion pour voir enfin les paysages de la Terre pensée par l’autrice avec des effets spectaculaires, que l’on visite le territoire des droit-noir ou l’enceinte des Jeux olympiques en Antarctique. Ada Palmer signe donc ici un roman plus classique, mais plus palpitant que Sept Redditions, galop final avant la conclusion, Peut-être les étoiles, attendue l’an prochain et prévue pour être déployée en deux volumes. Un monument.