(non MENTIONNÉ)
LA VOLTE
224pp - 18,00 €
Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118
Après Tè mawon (cf. Bifrost n°107), la cité-monde de Lanvil déploie une nouvelle fois le foisonnement poétique de l’écriture de Michael Roch dans un recueil décliné en neuf nouvelles. Neuf récits entre cyberpunk métissé et prose chamarrée, mais bien peu d’inédits puisqu’on y trouve pas moins de six textes parus en revue ou au sommaire de plusieurs anthologies. Lanvil emmêlée dessine ainsi le portrait d’une cité-monde aux frontières fluctuantes, où les Caraïbes font comme un pont entre l’Amérique du Nord et du Sud. Toutefois, Lanvil n’a ni longueur ni largeur. Elle se dresse tout en hauteur, tiraillée entre un anwo désirable et un anba rongeant les existences et les corps sans répit. Une lutte des classes transposée dans le contexte d’un avenir capitaliste gagné à la tech et à ses révolutions dont le clonage, l’IA, le réseau rhizome et les nanos en illustrent la réalité ambiguë, tout en nourrissant les neuf textes rassemblés ici. On assiste ainsi à la naissance (« Aux portes de Lanvil ») et à la fin de la cité-monde (« Sur la ville-ruine »), accompagnant l’errance de personnages qui traversent notre lecture, au point parfois de nous perdre dans l’enlacement des récits et des temporalités. Joge-O le clone anthropophage, le traducteur Clod en mission pour le compte d’un riche magnat de l’anwo, Man Pitak l’agrégeuse clandestine, le duo formé par Joe et Patson dont la gouaille et le goût pour la débrouille amusent, et bien d’autres font office de guide sur les chemins qui bifurquent de la cité-monde, nous en faisant parcourir la diversité enchevêtrée. Un maquis urbain qui s’enracine aussi dans le substrat caribéen et son histoire coloniale.
D’aucuns jugeront l’expérience ardue, cherchant désespérément le cadre codifié et dépourvu d’alternative du cyberpunk. D’autres apprécieront l’effervescence créatrice la volonté de rompre avec un imaginaire occidentalisé via une langue métissée, faisant sienne un phrasé emprunté au français, à l’espagnol ou au créole. Lanvil emmêlée est ainsi riche d’interactions multiples, de trouvailles langagières, distillant un discours de résistance via les thématiques décoloniales et sociales qui l’irriguent. Michael Roch ne manque pas d’ambition et des moyens de faire valoir cette aspiration à une science-fiction différente et diverse, plus soutenable et plus équitable, débarrassée des stigmates du capitalisme et du colonialisme. Un projet salutaire que l’on ne peut que soutenir.