Fille d’un couple de dentistes, Chung Bora (nom/prénom) est une autrice sud-coréenne qui a à son actif trois romans et trois recueils de nouvelles. Elle a étudié à Yale et à l’université de l’Indiana, où elle a terminé un doctorat en littérature slave. Elle enseigne la langue russe, la littérature et la science-fiction à l’université (privée) Yonsei, à Séoul. Elle traduit le russe et le polonais vers le coréen. Activiste, elle met aussi son énergie (qui semble inépuisable) au service de la défense des droits des travailleurs, des femmes et de la communauté LGBT. En d’autres termes, c’est une tronche doublée d’une bosseuse.
Lapin maudit, sa seule œuvre traduite en français, a été finaliste de l’International Booker Prize, millésime 2022. C’est un recueil de dix nouvelles hétérogène – tous le sont, mais celui-ci l’est vraiment, dans le sens où s’y mêlent plusieurs genres distincts : horreur, science-fiction, réalisme magique et littérature dite générale. Si tous les textes ne sont pas de qualité égale, deux ou trois sortent vraiment du lot, comme le deuxième, ou bien encore « Les Règles du corps », où une femme, mise enceinte par son contraceptif, reçoit l’ordre sociétal de trouver impérativement un père à sa progéniture pharmaceutique.
Mais revenons à l’inoubliable deuxième nouvelle, « La Tête », où Chung Bora nous refait le « monstre du caca » de Dogma en nettement plus inquiétant (d’ailleurs, qui se souvient du film de Kevin Smith ?).
« J’ai été engendrée et créée par ce que vous avez jeté dans cette cuvette, les cheveux morts, les papiers souillés avec lesquels vous vous êtes essuyé le derrière, sans parler de tout le reste, voilà pourquoi je vous appelle “mère”. » Page 36.
L’éditeur cite en quatrième de couverture Eraserhead de David Lynch, Carrie de Stephen King et les Revenants de Laura Kasischke. J’imagine que le lapin maudit rattache le livre à Lynch, les passages sur les règles à Carrie, et les fantômes du féminisme à Kasischke. Pour ma part, je ne suis pas très convaincu par ces références un peu larges, auxquelles il manque d’ailleurs Kafka. Deux autres me viennent plutôt à l’esprit : Yoko Ogawa pour la sobriété chirurgicale du style et cette capacité à énoncer les pires horreurs comme si ce n’en étaient guère, et Anna Starobinets (Le Vivant) pour l’originalité organique de leurs imaginaires respectifs.
Le ton assez uniforme du recueil et son indéniable cérébralité le rendant difficile à lire à la suite, il vaut sans doute mieux picorer.