Même après avoir accompagné La Mort pour un dernier voyage, la poule aux œufs d’or Pratchett continue de susciter des publications. Lapsus clavis est un recueil de « non-fictions » : des articles, des discours, et cetera, remontant éventuellement aux années 1960, et s’arrêtant en 2011. On peut craindre, en pareil cas, le syndrome de la liste de courses, et, dans la petite soixantaine de textes ici rassemblés (du vivant de l’auteur et avec ses commentaires), il en est qui ne valent guère plus. D’autres justifient amplement cette publication, même globalement d’un intérêt variable.
L’atout majeur de l’ouvrage permet d’envisager Pratchett d’un autre œil — et la préface de l’ami Neil Gaiman, pour une fois, s’avère véritablement précieuse : un joyeux drille, le créateur de Rincevent, etc. ? Non – un homme en colère… Ce qui, tour à tour, le rend particulièrement sympathique et un tantinet agaçant. Humain, en somme.
L’humour est certes toujours présent dans ce recueil, mais sans constituer son point fort. La notoriété de l’auteur et son succès mondial débouchent sur des textes qui se ressemblent, où les mêmes thèmes et les mêmes effets rhétoriques reviennent sans cesse. À vrai dire, la longue première partie est probablement la moins intéressante, consacrée à Pratchett en tant qu’auteur à succès, et d’abord du Disque-Monde (les œuvres indépendantes ne sont que rarement mentionnées, avec une exception pour Nation) : sa production prolifique (pas de pause entre deux romans, quatre cents mots à écrire chaque jour) comme ses épuisantes tournées de dédicaces (avec une prédilection marquée pour l’Australie – casse pas la tête)… Les articles les plus récents peuvent d’ailleurs produire un effet similaire à celui des derniers romans du Disque-Monde, quand il devenait tristement flagrant que quelque chose ne fonctionnait plus…
On en retiendra surtout sa défense de la fantasy, l’évasion pas seulement « d’un endroit » mais surtout « vers » un autre, et qui offre en même temps un regard critique sur le monde ; Chesterton, Tolkien et quelques autres, y compris les lassants « produits de fantasy extrudés » qu’il s’agissait de railler, avec un dictionnaire Brewer non loin, ce sont les fondements du Disque-Monde – jusque dans cet article très lucide expliquant pourquoi Gandalf ne s’est jamais marié – ; en découle la création de Mémé Ciredutemps et de ses consœurs, et, pour le coup, voir l’œuvre en gestation est fascinant ; il en va de même pour l’amorce des Petits Dieux, avec une tortue et quelques Grecs, etc.
Mais Pratchett l’homme est probablement davantage intéressant, ici. Ses réminiscences autobiographiques éparses, parfois étonnantes, parfois touchantes, sont souvent drôles (mais pas toujours). L’école pénible, la découverte des revues de SF dans une libraire porno (dont la tenancière était une aimable vieille dame lui offrant le thé), le journaliste local qui assiste à des autopsies, le chargé de relations publiques d’une centrale nucléaire… Un Pratchett avant Pratchett, qui nourrira l’auteur en temps utile.
Le grand moment se situe cependant à la fin – quand Pratchett se fait militant, et, suite à la découverte de sa forme très particulière d’Alzheimer, s’engage en faveur de la mort assistée pour les patients qui ne peuvent plus espérer de rémission. Dans ce rôle incongru, l’auteur a suscité un écho marqué en Angleterre, bien au-delà du cercle pourtant étendu de ses lecteurs, et il a pu contribuer à faire évoluer les choses — en tout cas à initier un mouvement, peut-on espérer.
Si l’ensemble du recueil ne parlera sans doute qu’aux fans, ces ultimes développements ont une portée tout autre – et suffisent à justifier, peut-on supposer, cette publication.