Alors que la Fantasy semble être sur le point d'ensevelir définitivement nos tables le librairie sous un monceau de prose anglo-saxonne, Fleuve Noir S-F fait bien de recruter quelques nouveaux auteurs un peu plus à même de combler les attentes d'un marché essentiellement bâti sur le lectorat du jeu de rôle. Avec Christophe Loubet, meneur de Donjons & Dragons avoué, le pari semble gagné d'avance.
Toutefois, littérairement parlant, c'est une autre paire de manche, mais n'allons pas trop vite en besogne.
L'histoire ? Un jeune bâtard demi-elfe (encore un… le dernier remonte à Claude Castan), qui, après avoir vu son père terminer comme Saint Sébastien et sa mère violée et saignée à blanc dans le même élan, décide de se faire druide — oups, Banni — et au nom de Mère Nature, de montrer qu'il est quelqu'un. S'en suivent quelques scènes typiques de Donjons & Dragons, où le vocabulaire un peu trop spécifique aura été remplacé par des mots approchants. Lire Le Bâtard donne l'impression, durant certains chapitres, de se retrouver à la table du Maître Donjonneur. Voilà qui pourra peut-être réjouir ceux qui n'ont jamais vécu ce genre d'expérience, voire les nostalgiques du genre.
Mais au-delà ? D'abord, le roman est loin de ne contenir que des quasi transcriptions d'une partie imaginaire. Un bon tiers (approximativement) consiste en la narration de la mythologie Adimpienne par le Mage Hécron de l'Ordre des Passifs : comment les dieux se sont battus et les ordres anciens s'en sont trouvés éclatés. Là encore, très révélateur de la «manière Donjon» pour recréer à partir de matériel légendaire existant. Et la lecture du Bâtard de commencer à s'imposer pour l'étudiant en Lettres ou en Psychologie qui désirerait thésarder en matière de jeux de rôles… Pour ceux qui n'ont rien à apprendre de ce style, l'impression dominante serait plutôt de parcourir une aide de jeu ou l'annexe d'une série de scénariis prêts à jouer.
Maintenant, en se plaçant d'un point de vue purement littéraire, la première constatation est que Christophe Loubet, pour un premier roman, s'en tire mieux que la moyenne francophone. C'est l'effet jeu de rôle personnages multiples, réelle interaction entre eux, univers du roman structuré au-delà du simple décor. Aucun doute à avoir, l'auteur tire efficacement parti de son expérience de meneur de jeu. Pourtant certains travers du JdR, et en particulier de Donjons & Dragons, pointent leurs vilains mufles. Tolkien doit s'en retourner dans sa tombe la linguistique des patronymes dans La saga des bannis ressemble à un cauchemar pour professeurs de lettres anciennes. Un elfe baptise son fils Teufel, le mot allemand pour diable. Un autre se nomme Tagstallion — Tag pour le jour, toujours en allemand, stallion pour l'étalon en anglais, ce que maître Loubet s'empresse de nous traduire par… glacier La mythologie nordico-romano-finlandaise se mâtine avec la démonologie juive et autres constructions ésotériques de conciles catholiques du XVle siècle, si ma mémoire est bonne. Comme Donjons & Dragons, l'univers des Bannis est un fourre-tout culturel incohérent que n'aurait pas osé le premier Royaumes Oubliés venu. Psychologiquement, la panique règne également. Ainsi avec par exemple, le Banni qui selon ses propres préceptes ne doit pas sortir de la forêt en sort régulièrement ; la mère (indigne) de Teufel, qui préfère rejoindre son mari mourir plutôt que protéger son enfant de trois ans, et ce en total mépris de l'instinct maternel et de bon papa Freud (bon, elle était peut-être suicidaire…) ; Aldrond, le condisciple et rival de Teufel, qui passe d'un coup de la jalousie raciste la plus à l'admiration béate lorsque Teufel démontre son statut de prétentieux chouchou de Mère Nature. Bref, tout est caricatural et sans nuance : nous sommes dans Donjons & Dragons, ni plus, ni moins.