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              ACTUSF
               650pp                -                24,90 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
Pas facile d’écrire un récit de fantasy original, se déroulant dans une cour royale, capable d’embarquer ses lecteurs à travers plus de six cents pages. Surtout pour qui n’a encore jamais écrit de roman. C’est pourtant ce qu’est parvenu à faire Thibault Lafargue, et haut la main, avec Le Bouffon de la couronne, premier ouvrage d’un diptyque annoncé. Sans craindre de se placer dans la lignée de Robin Hobb (citée en fin d’ouvrage), l’auteur signe un récit rythmé (on précisera ici qu’il est scénariste, ce qui l’a sans doute aidé à trouver l’équilibre au sein des péripéties, nombreuses, qui émaillent cette histoire) et centré autour d’un personnage fort bien campé, à savoir Sébrain, jeune religieux pour qui tout va basculer. Plutôt maltraité par la vie jusqu’ici, bâtard né de l’union d’un homme et d’une femme issus de peuples ennemis, notre héros provoque un incident diplomatique aux conséquences possiblement dramatiques. Seule solution pour arranger les choses, le voici fait bouffon du roi. Son existence vient de basculer, et avec elle celle de nombre d’habitants du château. Car Sébrain tiendra bientôt une place centrale dans les intrigues qui se tissent à longueur de temps. Et, tel un martyr, il va souffrir au nom de ses amis, de son peuple, de ses croyances ; Thibault Lafargue s’y entend en dilemmes et tortures, morales ou physiques, à infliger à son personnage principal.
Tout en faisant montre d’une grande maîtrise dans l’élaboration d’une société cohérente où déployer ses protagonistes. Sans tout changer d’un monde médiéval typique de l’imaginaire collectif, l’auteur altère subtilement quelques détails, conférant à l’ensemble un exotisme inattendu. Ainsi la religion, centrée autour du Triste, divinité représentée sur Terre par le Marionnettiste, qui tient entre ses mains les fils de ses fidèles — leur destin. Dans les lieux dédiés à son culte, on récupère leurs larmes. Pour être intégrées au pain confectionné dans des moulins tenus par les religieux. Face à cette foi qui prêche la modération et la pénitence, l’Art est interdit, accusé de tous les maux. Il serait lié à la magie et aurait amené le malheur sur les hommes. Les ingrédients sont nombreux pour offrir un spectacle de tous les instants, scènes de combat spectaculaires, courses poursuites, mais aussi moments plus intimes mâtinés de réflexions jamais mièvres sur le pouvoir et ses conséquences.
Un premier roman remarquable, en somme, aussi touchant qu’intense, proposé qui plus est dans un écrin illustré par Hervé Leblan. Ventretriste, il faudra s’armer d’une belle dose de patience avant la suite et fin des aventures du bouffon Sébrain !
Raphaël GAUDIN