La S-F n'est pas très riche en livres drôles (on citera pour mémoire les œuvres de Robert Sheckley, Douglas Adams ou R. A. Lafferty) ; le lecteur de S-F n'est donc pas préparé du tout à affronter Le Bureau des atrocités, (double) roman cinglé qui donne en permanence l'impression qu'on est : 1°) dépassé par les évènements ; 2°) rendu plus intelligent ; 3°) pris pour un crétin à QI rampant ; 4°) invité à faire joujou dans la cour des adultes paranormaux, etc. etc.
Imaginez un service ultra-top-secret (la Laverie) chargé d'enquêter sur — et de s'opposer à — tous les phénomènes paranormaux indésirables, susceptibles par exemple de modifier la nature même de la réalité. Il peut s'agir, entre autres, d'une brigade survivante du IIIe Reich qui a tracé sur la Lune l'effigie de Hitler. Ou d'un groupe mystérieux qui sème des vaches en béton dans le Royaume-Uni…
Imaginez que notre héros, Bob Howard, spécialiste en informatique et accessoirement en créatures démoniaques, tombe amoureux d'une scientifique rousse et néanmoins américaine qui a commencé à publier une théorie capable de mettre sens dessus dessous notre univers spatio-temporel. Imaginez que les deux colocataires de notre héros, Pinky et le Cerveau, passent pas mal de temps à chercher comment faire une omelette sans casser les œufs (et y arrivent, non ?). Imaginez que certains supérieurs de notre héros s'acharnent à multiplier les formulaires nécessaires à l'obtention de matériel, le départ en mission, la prise d'initiative, le dialogue en privé… (Ne cherchez pas à rayer la mention inutile, il n'y en a pas.)
Tout ceci n'est que bagatelles…
Le Bureau des atrocités dépasse le stade de tout ce que vous pouvez imaginer dès la page deux, voire dès le paragraphe deux. Si vous désespériez de jamais voir un écrivain tenir compte à la fois de Jimi Hendrix et de Lovecraft, de Schwarzenegger, du 11 septembre, de Borges, de Saddam Hussein, et de tout ce qui constitue notre lamentable quotidien, réjouissez-vous : Charles Stross comble un vide immense et nous expédie dans un futur terriblement lointain et très, très proche, avec une feinte et hilarante désinvolture qui marque les grands livres et les auteurs remarquables…