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Les critiques de Bifrost

Le Canal Ophite

John VARLEY
FOLIO
352pp - 9,40 €

Critique parue en octobre 2004 dans Bifrost n° 36

Après une longue et inacceptable indisponibilité, Le Canal Ophite est aujourd'hui réédité en Folio « SF ». Une bonne nouvelle pour les fans de John Varley, mais également pour les autres, ce premier roman (publié en 1977) valant largement le détour. Pas encore devenu Monsieur John Varley, l'auteur y fait preuve d'un talent inquiétant, via une forme narrative novatrice et un impressionnant souci du décorum. Au passage, le lecteur glane des notions spéculatives particulièrement bien vues, notamment sur le thème du clonage, traité ici avec une rare acuité. Bref, si Le Canal Ophite fait bien sentir que le meilleur de Varley est encore dans l'œuf, il n'en reste pas moins un excellent roman, malin (pour ne pas dire roublard) ; drôle et joyeusement cynique.

Avec un sens de la construction très cinématographique, Varley fait du Tarantino avant l'heure, décalant sa caméra, multipliant les plans audacieux, coupant çà et là au montage pour dynamiter toute forme de linéarité temporelle, le tout dans un récit explosif et misanthrope. Au menu du travelling déjanté, Lilo, jeune femme aux multiples facettes : condamnée à mort pour avoir un peu trop louché du côté du génome humain, elle est récupérée in extremis par le politicien Tweed, raclure sans scrupule, clonée, évadée, reclonée et réévadée, dans une sorte de chasse à l'homme (en l'occurrence, à la femme) cosmique échevelée. En marge du très attachant personnage de Lilo et de ses nombreux clones (formant autant de personnages à part entière), le conflit avec les extraterrestres entre dans une nouvelle phase : présents sur Terre depuis quelques siècles, les aliens (délétères et peu substantiels) ont réglé le problème de la résistance humaine en annihilant l'essentiel des artefacts autochtones (routes, villes, etc.). Mais si l'humanité ne les intéresse guère (ils ne se manifestent aucunement et semblent invulnérables), le flot d'information en provenance de la constellation de l'Ophiucus les concerne. Depuis 600 ans, les terriens en exil dans leur propre système solaire le reçoivent, à tel point que l'ensemble de leur technologie en dépend. Aussi, quand un message nouveau leur parvient, décodé en « maintenant payez, ou on vous pète la gueule » (on résume), les Hommes se disent (avec raison) que certains problèmes se profilent à l'horizon…

Complètement largué, parfois récupéré de justesse mais toujours souriant, le lecteur se plait à saisir çà et là quelques bribes de scénario, pour un ensemble (et c'est ainsi que Varley est grand) d'une très grande cohérence et d'un humour sous-jacent permanent. La crédibilité de l'histoire n'est jamais prise en défaut, et ce malgré l'invraisemblable et délirante accumulation de n'importe quoi et d'imagination amphétaminée.

Drôle, tragique et effroyablement cynique à l'égard des petites fourmis que nous sommes, Le Canal Ophite est un excellent ticket d'entrée dans l'univers très personnel de John Varley. 300 pages en poche rapidement lues et aimées…

Patrick IMBERT

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