Dans un futur très proche, demain ou peu s’en faut, les actuels géants du Web – Google, Facebook, Twitter, Paypal – ont été remplacés par le Cercle. Plus simple, plus pratique, le Cercle est l’invention d’un geek génial aidé de deux fortes personnalités, un philanthrope avunculaire et un homme d’affaire impitoyable. À eux trois, ils ont rendu le Cercle indispensable, universel.
Communication, compréhension et clarté sont au cœur du projet. Dans le monde actuel, Google a pour slogan « Do No Evil » : le credo du Cercle est similaire, mais à qui s’adresse l’injonction ? Au Cercle ou à ses utilisateurs ? Entreprise affichant ses visées bienveillantes, le Cercle veut simplifier votre vie, la protéger aussi ; le Cercle veut tout connaître – du nombre de grains de sable du Sahara jusqu’à votre arbre généalogique – et ne veut rien oublier. Potentiellement intrusif ? Mais voyons, c’est pour votre bien et celui des autres membres de la communauté…
Sous l’impulsion d’une amie y travaillant, la jeune Mae Holland quitte son boulot pourri et part pour la Silicon Valley rejoindre le Cercle. Embauchée à l’Expérience Client, elle y fait montre de ses qualités. Ses collègues se hâtent de lui faire découvrir toutes les merveilles offertes par le Cercle, mais Mae n’y participe guère : la voilà vite incitée à faire davantage partie intégrante de la vie du campus, à afficher plus encore sa présence sur le réseau social du Cercle. Suite à un malheureux incident, Mae va se retrouver propulsée au premier plan du Cercle et à porter haut des valeurs qu’elle a contribué à définir. Valeurs qui, dans leur énoncé, rappellent en creux les slogans du monde totalitaire de 1984. Quoiqu’ici on pense plutôt au cauchemar de verre de Zamiatine, Nous autres, dont se dessinent les prémisses en mode 2.0, un tantinet infantilisantes, à mesure que le Cercle se clôt. Un mystérieux inconnu tente d’avertir Mae des dangers de la complétion du Cercle, mais n’est-il pas déjà trop tard ?
Quatrième roman de Dave Eggers (deuxième traduit en français après une novélisation de Max et les maximonstres, le film de Spike Jonze adaptant le livre éponyme de Maurice Sendak), Le Cercle brasse bon nombre de thèmes dans l’air du temps : la surveillance, la bienveillance typiquement puritaine des géants du Web américain, le droit à l’oubli (ou pas), l’engagement qui se résume à liker/disliker quelque chose… Sur le papier, le roman de Dave Eggers a tout pour plaire, dans le genre anticipation immédiate, mais finit par décevoir sur le plan narratif, la faute à une longueur un brin excessive, une relative absence de tension durant la majeure partie du roman, une intrigue pas toujours bien ficelée, des protagonistes un tantinet caricaturaux – en particulier celui qui apporte le seul point de vue construit visant à brocarder le Cercle.
Il n’empêche, Le Cercle fait réfléchir. À l’heure où la neutralité du Web est loin d’être tenue pour acquise, où Facebook et consorts acquièrent quantité de données sur leurs utilisateurs et collaborent avec les agences de renseignements étatsuniennes sans grand respect pour la notion de vie privée, où Google s’arroge le mot « alphabet », Le Cercle s’avère une lecture en pleine prise avec l’actualité, plus convaincante sur le fond que sur la forme. Smiley. (Et pour les oreilles.)