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Les critiques de Bifrost

Le Chant des Fenjicks

Luce BASSETERRE
MNÉMOS
336pp - 21,00 €

Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101

Les Imbtus, des félidés vivants dans une société matriarcale, sont confrontés à un problème de fertilité. Certaines dirigeantes accusent l’envahisseur Chaleck, une espèce reptilienne asexuée, d’en être les instigateurs. Les Chalecks, spécialistes en modification génétique, offrent aussi une solution, l’hermaphrodisme, qui bousculerait l’ordre établi et réduirait la pression sociale sur les mâles fertiles. L’Empire Chaleck est parvenu à étendre sa domination tout en évitant la guerre. Ses méthodes résident dans une forme subtile de coercition et de manipulation des espèces sur un temps long – plusieurs générations. Les biocoms, implantés sur les Imbtus et présentés comme une avancée technologique bienfaisante pour leurs porteurs, permettent un contrôle comportemental et physique qui fait disparaître le libre-arbitre avec toute volonté de rébellion. Ils influent sur la construction de la personnalité par l’effacement ou l’implantation de souvenirs et conduisent les peuples à se soumettre librement. Depuis des millénaires, les Chalecks asservissent nombre d’espèces par ce biais. Les Fenjicks, des requins cosmiques qu’aucune radiation n’atteint, en ont fait les frais. Lobotomisés, dotés d’une IA puis évidés pour en faire de simples vaisseaux taxis nommés cybersquales, ils sont menacés d’extinction. Cybersquales et Fenjicks n’ont d’ailleurs plus de langage commun, les premiers ayant perdu leur capacité à chanter. La révolte gronde chez les Imbtus et chez les cybersquales dont certaines IA ont été débridées et ont pu développer une conscience. C’est le début de la fin pour un empire incapable de prendre conscience de son absence totale d’éthique.

Le Chant des Fenjicks partage le même univers que La Débusqueuse de mondes (initialement paru chez Mü et récemment réédité au Livre de Poche), dont l’intrigue se situe bien après et dans lequel on croise certains personnages Fenjicks – la longévité est une autre caractéristique de cette espèce. Ils ont en commun une narration à multiples voix dont une seule est humaine. Dans ces romans de space opera où le voyage spatial et l’ingénierie biologique sont maîtrisés, de nombreuses espèces différentes non humaines, intelligences artificielles, félidés, reptiliens, métamorphes – asexués, genrés ou non – peuplent l’univers. Luce Basseterre adapte son écriture à chacun, avec un langage épicène dotés des pronoms et des articles neutres pour correspondre à un peuple non genré. Le Chant des Fenjicks met en scène une révolte à grande échelle —– une guerre sans généraux mais avec ses batailles et ses morts — vécue et racontée en temps réel par une multitude de personnages dont la plupart n’ambitionnent rien de plus que de vivre leur vie en paix. Cette profusion de protagonistes, mise en scènes dans de courts chapitres rythmés, nécessite un peu d’attention sous peine de perdre le fil de l’intrigue. Luce Basseterre explore les thèmes de la recherche de liberté, la fin de l’asservissement, le droit à disposer de son corps dans un roman qui porte un message de tolérance et d’optimisme. Pourquoi pas.

Karine GOBLED

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