Jean KRUG
CRITIC
384pp - 22,00 €
Critique parue en juillet 2021 dans Bifrost n° 103
Jean Krug est un auteur qui n’a guère publié avant ce livre : une seule nouvelle, semble-t-il, « Manière Grise » au sommaire d’un numéro du Novelliste. Le Chant des glaces est de fait son premier roman, inspiré de sa formation de glaciologue – qu’il prolonge désormais par son expérience de conférencier en Antarctique ou au Groenland. Un ton donné dès la scène introductive, où l’on découvre deux « aventuriers », Bliss et Ferley, qui tentent de récupérer un bloc de cryel, à savoir une glace des plus pure dotée de capacités de refroidissement quasi-miraculeuses, particulièrement adapté pour baisser la température des circuits électriques surchauffés. On ne le trouve que sur très peu de planètes dans ce futur lointain où nombre d’entre elles sont colonisées, et ceux qui, tels Bliss et Ferley, sont capables de récolter le cryel en cassant très délicatement la gangue de glace qui le protège, sont surnommés les chanteurs de glace. Leur méthode, totalement empirique, est confrontée à celle de Jennah, ancienne hacker qui a entrepris de modéliser les mouvements des glaciers en vue de trouver le cryel parfait. Ailleurs dans la galaxie, séparée en deux factions antagonistes, Alpha (entendez la Terre, dont le statut de berceau de l’humanité a depuis longtemps été oublié) et Béta, des militaires et des politiques s’affrontent dans de sempiternelles luttes d’influence et de pouvoir. Tout cela est bien entendu lié, comme on le découvrira peu à peu.
Au centre de ce roman, bien sûr, se trouve le cryel. Ce matériau aux propriétés invraisemblables intrigue très rapidement. On n’en saura toutefois guère plus, l’auteur se gardant de le décrire en détail. C’est d’une part frustrant, car il y avait un vrai potentiel à développer ses caractéristiques (le lecteur de SF est friand de ces nouvelles matières aux propriétés extravagantes), et d’autre part cette aura quasi-mystique du cryel détonne avec le reste du roman, en grande partie basé sur la crédibilité de l’univers bâti par Krug. Car la formation scientifique de l’auteur lui permet de décrire avec minutie les paysages glaciaires qui constituent une bonne partie du décor de son roman ; mission réussie, on s’y croirait, qu’il s’agisse de la beauté qui en émane, mais aussi du sentiment oppressant né du gigantisme de ces paysages et de l’atmosphère confinée quand il faut y pénétrer. C’est dans ces scènes-là qu’on peut reconnaître à son auteur un réel pouvoir évocateur, bien plus que dans les scènes se déroulant dans les milieux militaires ou consulaires, nettement plus convenues. Krug tire toutefois son épingle du jeu, aidé en cela par sa construction éclatée, dans l’espace et dans le temps, qui déploie les fils de l’intrigue. Si certaines ficelles restent un peu grosses (la trahison de tel personnage, l’identité réelle de tel autre), l’ensemble se lit sans déplaisir, d’autant que ce roman fait la part belle aux enjeux environnementaux et sociaux.
Le Chant des glaces se révèle in fine un premier roman mêlant intrigue intelligente et connaissances scientifiques de façon à bâtir un univers crédible, parfaitement documenté et plutôt envoûtant. Sans prétendre au statut de joyau brut à l’image de ce mystérieux cryel, encore perfectible, sans doute aucun, la prose de Krug se montre somme toute convaincante, et l’auteur une nouvelle voix bienvenue qu’on relira avec plaisir.