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Les critiques de Bifrost

Le Chant des noms

Jedediah BERRY
HACHETTE
624pp - 28,00 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

Il est des livres dont on sent que l’auteur les a portés longtemps. Qu’il a patiemment mûri un univers autour d’une idée forte. Semblable postulat n’est pas toujours gage de qualité, et il arrive que le résultat ne soit pas à la hauteur des espérances, que l’histoire échoue à retranscrire la richesse du monde imaginé, s’enlise dans des digressions et laisse la narration en berne et le lecteur déçu. À l’inverse d’autres romans, malgré le poids de l’invention, parviennent à entrainer ceux qui en tournent les pages dans les méandres de l’aventure. Le Chant des noms est en grande partie de ceux-là — même s’il n’est pas dénué de faiblesses… Sur l’île qui abrite les personnages, les noms ont disparu. Il faut dorénavant en redonner un à toute chose afin de pouvoir l’appréhender et donc l’utiliser : écho, clandestin, cuivre, herse, whisky. Tout est à redécouvrir. Des devins réinventent ces mots, et des messagers les délivrent à travers les villes, les villages, les fermes. Embarquées dans un train, ces équipes sillonnent le pays et lui redonnent ses contours. Mais tout le monde n’apprécie pas ce nouvel ordre aux relents de dictature. Les sans-noms se révoltent, de plus en plus organisés, de plus en plus nombreux. Et ils ont l’avantage de pouvoir se cacher dans les zones encore innommées…

Une fois passée la barrière des premiers chapitres mettant en place le fourmillement de concepts imaginés par Jedediah Berry, le récit file, fluide, vers une fin, hélas, assez prévisible. Et c’est même un des principaux écueils de cet ouvrage : si le départ est plutôt exigeant pour un lecteur non habitué à ce type de littérature ou pour un public plus jeune, la suite est résolument young adult, avec ses passages obligés et une résolution éminemment classique. De fait, et même si la lecture de cet énorme pavé n’a rien de désagréable en soi, un tel grand écart à de grandes chances de décourager une partie du lectorat et d’en décevoir une autre. Ce qu’on ne peut que regretter, tant l’imagination de l’auteur est fertile et son travail d’une belle unité. À commencer par son personnage central, une jeune femme intégrée dans la société mais qui ne porte pas elle-même de nom, et ce alors qu’elle est messagère, chargée d’en délivrer au monde qui l’entoure. Ou encore l’usage des fantômes comme ouvriers dans les usines, esclaves muets et résignés. Si Le Chant des noms regorge d’idées et de trouvailles enthousiasmantes, l’ensemble est desservi par une construction maladroite. Vraiment dommage.

 

Maëlle ALAN

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