Les chats tiennent une place considérable dans la Science-Fiction. Probablement parce que tous les écrivains cohabitent avec un (ou plusieurs) chat(s). Et parce qu'il arrive, à l'occasion, que la Science-Fiction soit écrite par des écrivains. Qu'il nous soit permis — juste pour titiller la fibre nostalgique de nos lecteurs les plus âgés — d'évoquer les numéros spéciaux consacrés aux greffiers du légendaire fanzine Lunatique, de Jacqueline Osterrath. Introuvables, bien sûr ! Au rayon des moins grandes raretés (trouvables donc chez les bouquinistes), on conseillera sans réserve Une porte sur l'été de Robert Heinlein, variation majeure sur le motif du voyage dans le temps et ses effets pervers, et Parabellum Tango, l'un des meilleurs romans de Pierre Pelot. Dans l'un comme dans autre, le centre de la problématique science-fictive est occupé par un matou.
Quant au signataire de cette critique, les lecteurs de Bifrost savent déjà que les pages de sa fiction sont animées des déambulations d'un matou archétypal : Georges (dans l'Agence Arkham), Albert (dans le jardin d'Howard et Henry), Alexandre (le chasseur d'archéoptéryx dans « Un rêve d'hippocampe » in Étoiles Vives 3), et j'en passe. C'est que ce matou archétypal, véritable Chat Eternel faisant pendant au Héros Eternel de Michael Moorcock, occupe bel et bien le centre de l'univers, donc de la Littérature. Et par conséquent de la Science-Fiction (voir plus haut).
Et l'on en restera là.
Sauf à signaler le petit ouvrage hérétique cosigné par Jeury « père et fille » (comme le précise le bandeau publicitaire), et dans lequel les chats n'ont pas, à proprement parler, beau rôle. Les auteurs ont visiblement fait cause commune avec les chiens : ces êtres stupides, vicieux et bruyants, dotés d'une âme d'esclave, dont les étrons tapissent nos rues et les pissous font crever nos arbres. Se la jouant « culture de la culture » — on le dira ainsi pour moquer gentiment d'Edgar Morin — les auteurs nous relatent l'arrivée d'un chat du futur venu enquêter sur « quand, comment et pourquoi l'intelligence est arrivée aux chiens » (et non aux femmes — comme au cinéma) ; le but étant de justifier le départ de la Terre des chiens et des robots, en l'an presque 3000. Ça vous rappelle quelque chose ? C'est exprès…. (cf. Edgar Morin).
Retour inattendu (dans tous les sens du terme) de Michel Jeury dans la S-F — et premiers pas (publiés) de Dany Jeury dans l'écriture. Je ne suis pas certain que le double ghetto S-F/Littérature Jeunesse soit ce que l'on peut offrir de mieux à une jeune auteure souhaitant se faire la main, a fortiori avec un parrainage aussi lourd à porter — les plus jeunes de nos lecteurs l'ignorent probablement, mais Jeury le père, fut en son temps une jolie pointure dans la catégorie S-F française.
Bref, cette collaboration nous vaut un livre très mince, à peine une novella, avec un synopsis linéaire, des dialogues saupoudrés d'expressions « à la mode » chez les jeunes (enfin, les auteurs le croient…), et où la psychologie des personnages prend vite des allures de girouette dans la tempête. La cible est ici les « à partir de 10 ans ». Ce qui nous confirme dans l'idée que plus la tranche d'âge visée est basse, plus il est difficile d'écrire quelque chose à la fois original, léger, bien mené, agréable à lire… en un mot : convaincant. Ce Chat venu du futur évolue hélas à des années-lumière du Jeury du Monde du Lignus…