« Il n’est pas plus grand amour pour les Ferrayor que les rebuts. »
En ce dernier quart du XIXe siècle, une immense demeure faite de bric et de broc se dresse en plein cœur d’un océan d’ordures provenant de Londres : le Château des Ferrayor. La vaste famille Ferrayor se divise entre les nobles, vivant aux étages supérieurs, et les domestiques, provenant des villes voisines et habitant les tréfonds de la construction. La particularité des Ferrayor est d’être tous, dès leur naissance ou leur arrivée au Château, liés à un objet, aussi insignifiant soit-il : une tasse, un poêlon, un robinet… L’objet en question ne devra pas les quitter tout au long de leur vie — jamais. Clod, un Ferrayor d’en haut qui peine à trouver sa place, a le don d’entendre ces objets : ils parlent, n’ont de cesse de prononcer leur nom. Le jeune homme est ainsi lié à une bonde d’évier nommée James Henry Hayward. Bientôt débarque au Château Lucy Pennant, destinée à devenir servante. Kleptomane, et surtout forte tête, Lucy refuse d’abdiquer son propre nom — au profit de celui de Ferrayor, comme le veut la tradition et sa nouvelle condition. Son arrivée et sa rencontre avec Clod vont signer le début de bouleversements dans cette étrange demeure : des menaces se font jour, telle une tempête d’ordures ou des objets prenant soudainement vie…
Malgré son titre, Le Château a peu à voir avec le roman homonyme de Kafka ; son titre original est d’ailleurs Heap House : le tas d’ordures. Ecrit dans un style faussement suranné, le livre est narré tour à tour par Clod et Lucy, ainsi qu’une poignée de personnages secondaires. Intrigante, l’intrigue louvoie et a malheureusement tendance à se perdre dans les méandres du Château. Le conte sous influence Dickens vire peu à peu au pur cauchemar, qui culmine lors d’une plongée dans l’océan d’ordure. L’intérêt du Château se situe surtout dans l’ambiance gothique, qui n’est pas évoquer, forcément, Tim Burton. On pense aussi à « Féerie pour les ténèbres » de Jérôme Noirez ou au Gormenghast de Mervyn Peake. Le livre est d’ailleurs rehaussé par les illustrations de l’auteur, dépeignant en tête de chaque chapitre les trognes mornes de l’innombrable famille Ferrayor. Jamais trop glauque ni trop cradingue, Le Château s’avère d’une lecture plaisante, même si le roman, malgré son intéressant twist final, laisse quelque peu sur sa faim. Le deuxième volume, Foulsham, est paru outre-Manche en août 2014, et le troisième, Lungdon, est prévu pour le mois de novembre 2015. Sans trépigner d’impatience, on attend cependant avec curiosité leurs traductions en français.