Le Chemin de l’espace est un fix-up constitué de cinq récits publiés outre-Atlantique en 1967 et initialement traduit en France en 1983 chez J’ai Lu. Il s’agit d’une histoire du futur courant de 2077 à 2164, la seule jamais ébauchée par l’auteur, comme il s’en explique en préface. Silverberg y enchevêtre plusieurs thèmes classiques de la SF. La NooSFère donne l’immortalité pour principal, ce qui n’est pas tout à fait vrai. Ce thème est certes présent mais, davantage comme un moyen que comme une fin, il est croisé avec celui de la conquête des étoiles qui donne son titre à l’ouvrage — et sans oublier les pouvoirs psi, la préscience et les prophéties, donc la religion, qui est au cœur du livre.
En ce XXIe siècle finissant, les disciples de Noel Vorst, une sorte d’Elon Musk bien mâtiné de gourou, imposent progressivement une nouvelle église très largement scientiste, promettant la vie éternelle à ses adeptes. Mais pas outre-tombe, non, dans ce monde-ci, grâce à des exploits génétiques. Mars a été terraformée, et l’Homme a été adapté à Vénus. Ce qui ne l’empêche pas de se sentir bien trop à l’étroit dans le Système solaire. Or, si les recherches gériatriques de Vorst aboutissent à une augmentation considérable de la vie, c’est sur le développement des pouvoirs psi (ici esper) que Vorst compte pour atteindre les étoiles, notamment la télékinésie. Sur Terre, cependant, les recherches piétinent et le mouvement a déjà connu un schisme donnant naissance à l’Église de l’Harmonie Universelle qui s’est enracinée sur Vénus…
Les personnages ne cessent de se croiser d’un texte à l’autre. Dans le premier, « Feu bleu », on rencontre une première fois le martien Nat Weiner et on y assiste à la conversion de Reynolds Kirby appelé à un destin hors normes. Dans la deuxième, « Les Guerriers de lumière », on découvre Christopher Mondschein, un jeune adepte qui veut plus que tout accéder à la vie éternelle. Cette histoire s’apparente fortement à un récit d’espionnage de l’époque. Sa demande de mutation à Santa Fe, La Mecque de la nouvelle religion, est rejetée, puis acceptée, mais il est entre temps passé à son insu à l’hérésie de l’Harmonie Universelle. On le retrouvera quarante ans plus tard à la tête de l’hérésie sur Vénus dans la troisième partie, où les pouvoirs psi croissent et embellissent sous l’égide hérétique. La quatrième verra la résurrection de Davi Lazare, au nom prédestiné, fondateur de l’hérésie harmoniste…
Dans le background de ce roman composite, on comprend clairement que Silverberg voyait déjà poindre certains problèmes contemporains brûlants. Sous une apparence facile, ce plaisant petit roman offre ainsi bien davantage qu’il n’y paraît de prime abord, sans oublier de constituer une excellente porte pour qui voudrait s’initier à la science-fiction. Après trente ans, il était plus que temps de l’offrir à de nouvelles générations de lecteurs.