Quand Gene Wolfe s’essaie à la fantasyperfusée à la mythologie, quel en est le résultat ? L’épais diptyque du « Chevalier-Mage ». Celui-ci prend la forme d’une lettre (longue, la lettre) que le narrateur envoie à son frère Ben, pour lui dire que, grosso modo, tout va bien, il s’est juste aventuré dans les bois un peu plus loin que prévu et s’est retrouvé dans le monde de Mythgarthr sans vraiment s’en rendre compte. Lui, il voudrait simplement retourner à Griffonsford, son village… en supposant qu’il vienne bien de Griffonsford. Tout est si flou, les souvenirs soudain si incertains pour celui qui se fait désormais appeler Able du Grand Cœur.
Bien que situé au milieu, Mythgarthr n’est pas exactement Mid- gard, la cosmologie de cet univers ne compte pas neuf mondes comme dans la mythologie nordique mais sept, superposés, avec un différentiel temporel — plus on monte, plus le temps passe vite, et inversement quand on descend. Au fil des pages, le diptyque mêle les mythologies scandinave et chrétienne avec un zeste de légende arthurienne. L’exploration de cet univers n’est toutefois pas ce qui préoccupe le plus l’auteur, dans la mesure où les aventures d’Able se déroulent pour l’essentiel sur Mythgarthr, avec quelques incursions dans l’étrange Ælfrie, que peuplent différentes races d’elfes, et au Sciel, où flotte l’aérien château du Père des Batailles, sorte de Valhalla.
Le Chevalier suit donc les premiers pas d’Able dans cet univers qu’il découvre, puis sa quête pour devenir chevalier et comprendre les implications morales du rôle. En chemin, il rencontre différents alliés : Gylf le chien parlant et les elfes de feu Uri et Baki. Au passage, il tombe éperdument amoureux d’une elfe des mousses, Disiri, et se lance à la recherche d’Éterne, une épée magique. Suivront de nombreuses péripéties, impliquant entre autres créatures fabuleuses des géants et des dragons, et une défense toute chevaleresque de l’honneur. Contrairement à son titre, Le Mage ne montre pas Able devenir quelque puissant sorcier : certes doté de pouvoirs, dont il ne se servira guère, notre chevalier mènera une guerre incessante contre les Géants du givre.
Comme souvent avec Wolfe, le « Chevalier-Mage » laisse l’impression durable qu’il y a quelque part une intrigue claire, juste au-delà de ce que l’on peut saisir. Sans être véritablement un narrateur non fiable, Able sait des choses mais omet de les signaler au moment opportun, laissant ses lecteurs errer dans une incertitude relative. Admirablement écrit et traduit, Le Chevalier suscite la curiosité et maintient l’intérêt au long de ses centaines de pages ; en revanche, il convient de s’accrocher pour venir au bout du Mage : aussi bavard que nébuleux, lâchant parfois quelques explications, ce deuxième tome, hélas, paraît interminable, jusqu’à une fin qui fait « pschitt ». L’ensemble constitue donc une semi-déception. Ou une semi-réussite, c’est selon.