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Les critiques de Bifrost

Le Chien de guerre et la douleur du monde

Le Chien de guerre et la douleur du monde

Michael MOORCOCK
L'ATALANTE
240pp - 17,50 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Œuvre de fantasy, ce roman compte au nombre des textes importants de Michael Moorcock. Il prend place dans notre monde, au XVIIe siècle, durant la Guerre de Trente Ans, peu après le sac de Magdebourg (1631). En rupture de ban par crainte de la peste, Ulrich von Bek, qui a pris part à ce sac, traverse une Allemagne dévastée. Jusqu’à une contrée silencieuse et sans vie où se dresse un château épargné par les vicissitudes de l’époque : Le pied sur Terre de Lucifer. Après qu’il a rencontré Sabrina, une esclave de Satan ayant servi à le ferrer, le Prince des Ténèbres vient lui proposer un marché : se mettre en quête du Saint Graal et le lui rapporter afin que l’Ange Déchu puisse racheter sa place au Paradis, ainsi que toute la douleur du monde, avec en prime son âme déjà damnée et celle de Sabrina si toutefois le Prince des Menteurs a dit la vérité. Cette première partie pleine de questionnements métaphysiques est la plus intéressante du livre.

Le seconde partie (non matérialisée) relève de la fantasy moorcockienne classique et aventureuse : on y voit von Bek, accompagné du Kazakh Sadenko — le pendant de Tristelune auprès d’Elric, et qui joue le même rôle littéraire, dont celui d’apporter des dialogues qui fluidifient le récit. Tous deux parcourent une Europe à feu et à sang, ainsi que la Mittlemarch, où l’on retournera à l’occasion pour d’autres volumes de la série von Bek. Le Chien de guerre et la douleur du monde est rattaché au multivers moorcockien notamment par les présences de la reine (des Épées) Xiombarg, et surtout celle du chevalier des Épées, Arioch, ici duc des Enfers en rébellion contre Lucifer, tous deux issus du cycle de « Corum ». La quête confiée à von Bek par le diable n’est pas du goût de toutes les puissances Infernales, et Satan n’est lui-même plus guère en odeur de sainteté aux Enfers. Ainsi revient-on à davantage de considérations métaphysiques pour la conclusion, qui fait le lien avec nombre de récits d’inspiration mythologique tel que Le Crépuscule des Dieux, bien qu’il soit ici davantage question de la mythologie du Livre.

Avec ce roman, Michael Moorcock fait véritablement œuvre de fantasy spéculative ; un genre qui d’ordinaire ne s’y prête guère — l’immense majorité étant assertive. Moorcock invite ici à une spéculation métaphysique avant tout. Il ne nous propose par le sempiternel affrontement manichéen si cher à Tolkien et ses émules. En filigrane, la question posée in fine demeure, comme souvent chez Moorcock : bons ou mauvais, n’est-il pas préférable que l’homme fasse ses propres choix (plutôt que de laisser ceux-ci entre les mains des dieux) ?

Jean-Pierre LION

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