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Les critiques de Bifrost

Codex Merlin - L'intégrale

Codex Merlin - L'intégrale

Robert HOLDSTOCK
LE PRÉ AUX CLERCS
1052pp - 29,95 €

Bifrost n° 64

Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64

Robert Holdstock nous a malheureusement quittés en 2009. Mais si l’auteur anglais reste avant tout connu pour son cycle des Mythagos (Folio « SF »), il ne faudrait pas oublier tout un pan de sa vaste bibliographie nourrie de mythes et de légendes. Avec cette intégrale, Le Pré aux clercs propose ici une séance de rattrapage à tous ceux qui n’auraient pas plongé dans l’univers complexe de son Celtika et ses deux suites.

Une initiative à souligner, donc, du moins pour qui n’a pas déjà acheté les deux premiers tomes en poche en attendant le troisième… Dans ce cas-là, évidemment, dommage…

Ce Codex Merlin occupa l’auteur une bonne partie de la décennie passée, en fait peu ou prou jusqu’à sa mort. Les Royaumes Brisés, le tome 3, fut d’ailleurs son avant-dernier roman, ultime récit avant Avilion, un retour à l’univers des Mythagos — mais l’a-t-il jamais quitté ? — publié l’année de sa mort et toujours inédit en France (annoncé toutefois chez Denoël dans la collection « Lunes d’encre »). Autant dire qu’il ne fallait pas s’attendre ici à une série mineure…

Retrouver ces trois tomes réunis en un seul volume permet en tout cas de se rendre compte de façon bien plus évidente à quel point les thèmes de prédilection de l’auteur hantent cette trilogie : le passage du temps, le poids des mythes, leurs liens ô combien étroits, la superposition de dimensions étonnantes, entre rêve et réalité… L’occasion aussi d’éviter d’oublier la moitié du tome précédent avant d’enchaîner sur le suivant, ce qui, dans le cas présent, pourrait s’avérer problématique : la lecture de ce codex est exigeante et a tendance à le devenir de plus en plus au fil des pages : le lire en diagonale, c’est se condamner non pas à une simple lecture superficielle, mais à un véritable impair.

Comme souvent chez Holdstock, l’atmosphère constitue un ingrédient clé de la réussite de l’intrigue, soutenue par une prose minérale puissamment évocatrice, et ce sans avoir besoin pour autant de dérouler des pages et des pages de description. Le lecteur se retrouve à arpenter des mondes sombres et mystérieux, dont les lueurs fugaces croisées en cours de route s’avèrent souvent trompeuses, et, quoi qu’il arrive, toujours déroutantes.

Il faut dire que ce Merlin n’est pas forcément le guide le plus sûr qui soit : hésitant, souvent en proie au doute, manipulateur, réticent à l’idée de contempler le futur… Si jeune et si vieux à la fois, Merlin incarne une vision de l’Enchanteur à la fois fidèle et inédite, démontrant à lui seul la réussite de l’auteur et son habileté à concevoir un canevas que d’aucuns auraient imaginé incongru. Son Merlin — en réalité, un surnom — est un être mystérieux apparu à l’aube des temps. Ses souvenirs sont incomplets, mais sa magie puissante… Pour importante qu’elle soit, cette figure narrative centrale est toutefois loin d’écraser les autres personnages. Au contraire, Merlin est souvent lui-même spectateur d’une aventure moins épique qu’il n’y paraît. Les protagonistes principaux sont nombreux et profonds, indéniablement… humains, chacun devant composer avec des forces et des faiblesses qui ne les rendent souvent que plus attachants. Et comment ne pas citer le navire Argo, lui aussi personnage à part entière, dans un monde où le surnaturel existe « pour garder la nature sous contrôle », nous dit-on.

A travers cette trilogie où les frontières sont souvent abolies, brumeuses, intangibles, Robert Holdstock démontre sa capacité à abolir les frontières, justement, entre les genres, au profit, pour le coup, de la fantasy. Non, ce genre ne se limite pas aux cycles de high fantasy interminables, aussi réussis soient-ils dans leur domaine, et c’est heureux. Le syncrétisme mythologique de l’auteur frappe également l’esprit par sa pertinence. Mais celui-ci ne se livre pas à un exercice de style vain ou un étalage de connaissances. Holdstock n’oublie jamais qu’il est là pour jouer les conteurs, à même de transmettre son histoire, de faire le pont entre les profondeurs de ces brumes flirtant souvent avec l’ésotérisme et la symbolique et le lecteur, et avec quel talent ! Dépouillés de leurs oripeaux historiques, ces diverses antiquités ne font plus qu’une et Les Royaumes Brisés (« les rois brisés », en anglais…) représente ainsi une conclusion logique et douce-amère, où les pistes inexplorées précédemment le restent parfois… pour de bonnes raisons.

Portée par des personnages travaillés et une intrigue qui ne l’est pas moins, cette trilogie se mérite. Le Graal de Fer, second volet du cycle, notamment, demandera de véritables efforts pour plonger plus loin encore dans cet univers saturé de références. Et si ses eaux sont plus calmes, elles ne sont pas apaisées pour autant. Le souffle de la quête, bien que volontiers changeant, demeure de bout en bout.

Emmanuel CHASTELLIÈRE

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