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Les critiques de Bifrost

Le Commando des Immortels

Christophe LAMBERT
POCKET
452pp - 8,60 €

Critique parue en octobre 2014 dans Bifrost n° 76

Il n’est pas usurpé de dire que J.R.R. Tolkien a créé l’un des univers de fiction les plus connus au monde. Mais Tolkien lui-même aurait-il fait un bon personnage de fiction ? C’est en tout cas ce que pense Christophe Lambert, qui met en scène le professeur d’Oxford dans une intéressante tentative de marier la fantasy, l’uchronie et le roman de guerre.

Peu de temps après Pearl Harbor, les Américains sont toujours englués dans le conflit en plein Pacifique. La Birmanie, point clé de la guerre dans la région, est sur le point d’être conquise par les Japonais, nettement plus à leur aise dans la jungle que les soldats étasuniens. L’état-major américain a alors une idée innovante : pourquoi ne pas demander aux elfes de les aider ? Car dans ce monde, et c’est là qu’arrivent tout à la fois la fantasy et l’aspect uchronique, les elfes existent et, qui plus est, vivent dans une sorte de réserve, Sylvaniel, comme de si nombreux Amérindiens sur le continent nord-américain. Après négociations, les elfes acceptent, mais à une seule condition : que Tolkien, alors en pleine rédaction du « Seigneur des Anneaux », fasse partie de l’expédition…

Ceci n’est que le point de départ du roman, dont la majeure partie se déroule en Asie, à mesure que l’écrivain anglais, d’habitude si casanier, se retrouve plongé en plein conflit, avec un crescendo de tracasseries (conditions précaires, stress permanent…) qui culminent dans des affrontements sanglants avec l’ennemi. Tout ça y est dépeint de manière très réaliste, notamment par le truchement de protagonistes bien campés, des militaires américains ou anglais rodés aux elfes que rien ne semble perturber, en passant par une très bonne trouvaille, un métis humain-elfe qui peine à se situer dans cet univers. Lambert a fait des études de cinéma, et cela se sent dans sa façon de tenir la caméra, de convoquer les grands codes du film de guerre, dans son montage intelligent, dosage équilibré d’action et de scènes plus intimistes, comme celle du village, havre de calme au milieu du déluge de balles. Le livre se pose ainsi en un enchaînement de péripéties, jusqu’à ce qu’un autre niveau de lecture commence à se superposer : l’auteur y développe sa théorie selon laquelle les mythes sont tous issus du même creuset, et qu’on trouvera fatalement des similarités entre deux croyances de peuples très dissemblables. De roman de guerre, le livre évolue alors vers un registre plus aventurier, souvent trépidant, au sein duquel les clins d’œil au « Seigneur des Anneaux » se multiplient, du passage sous la montagne à la fameuse scène du Balrog sur le pont, constituant par là même une mise en abyme de la thématique de l’origine commune de tous les mythes, davantage ludique que démonstrative.

Œuvre au final nettement plus fine que son postulat initial (« Tolkien rencontre les elfes ») ne le laissait envisager, livre à plusieurs niveaux de lecture, Le Commando des immortels se révèle un excellent roman, de ceux qui confirment que Lambert est l’un des plus intéressants auteurs français actuels.

 

[La critique d'Olivier Girard in Bifrost 52.]

Bruno PARA

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