China MIÉVILLE
POCKET
732pp - 12,40 €
Critique parue en janvier 2009 dans Bifrost n° 53
Après le succès public et critique de Perdido Street Station, après le bon accueil des Scarifiés, China Miéville revient à Bas-Lag et à Nouvelle-Crobuzon. L'histoire démarre quelques années après que la menace des monstres suceurs d'âme a été écartée. Nouvelle-Crobuzon est maintenant en guerre contre Tesh, l'autre ville-état. Alors que le gouvernement tente d'étouffer les conséquences dramatiques du conflit (et ses revers successifs au front), le Comité, un groupuscule de résistance, commence à s'organiser au sein même de Nouvelle-Crobuzon. Mais les divisions sont nombreuses dans la résistance, où les prosélytes de la manière forte sont contestés par les partisans de la parole et des pamphlets venimeux. Pendant ce temps, dans Bas-Lag, au milieu de la crasse et du désespoir, on se remémore une légende qui pourrait résoudre les problèmes des citoyens : la légende du Concile de fer. Judas Bezolle le Golémiste a fait partie du Concile et il est le seul à savoir où celui-ci se trouve. Mais Judas est aussi recherché par la Milice, et ses sbires, les Mainmises, des parasites qui prennent le contrôle des êtres organiques. À la tête d'un groupe de révolutionnaires, le Faucheur part à la recherche de Judas ; il leur faudra quitter Nouvelle-Crobuzon, arpenter des territoires méconnus (voire inconnus) où les dangers ne manquent pas.
Le Concile de fer est constitué de trois lignes narratives que China Miéville alterne sans cesse : la quête du Faucheur, l'histoire personnelle de Judas et la lutte d'Ori qui complote contre le pouvoir et fomente des attentats révolutionnaires. Si le rythme est soutenu lors de la course-poursuite de Faucheur, l'histoire de Judas casse l'allure effrénée, qui reprendra peu à peu son régime de croisière. Ce va-et-vient régulier et constant est à l'image du train qui symbolise l'essence du roman, qui sera consolidé du matériau rencontré en chemin et par là même éternellement recréé.
Au fond, Le Concile de fer a une dimension sociale et politique qui faisait en partie défaut à Perdido Street Station. Comme si China Miéville transposait dans Bas-Lag l'Angleterre du milieu des années quatre-vingt, au plus fort de la crise des mineurs (aparté : ceux qui seraient intéressés par cette lutte historique liront avec profit l'imposant GB 84 de David Peace). Miéville dénonce les abus qui gangrènent tout système de gouvernement et en particulier le côté impérialiste de certains pays, les droits du travail parfois bafoués par les autorités et la haine raciale. L'illustration flagrante de cette haine est le concept de Recréation, châtiment par lequel les citoyens subissent les pires modifications génétiques, se voient greffés des corps d'animaux, sont affublés de parties mécaniques avant d'être exploités comme bêtes de somme. Ne conservant plus rien de leur aspect d'origine, grotesques, les Recréés ont parfois perdu toute sensibilité humaine, mais restent foncièrement humains et c'est sur le Concile de fer que repose leur seul espoir, peut-être chimérique, d'émancipation.
Avec Le Concile de fer, China Miéville nous invite aussi à découvrir une autre zone de son univers. On s'éloigne de la ville-état de Nouvelle-Crobuzon pour explorer des zones inconnues, non cartographiées, dans les terres médianes où les lois de la physique sont différentes : les plantes ont des yeux, le sol regorge de cire quand il ne se conduit pas en prédateur doué d'intelligence, le ciel semble en mouvement, les organismes mutants pullulent. Cet entre-deux-mondes où s'étend le paysage de Torsion est appelé « tache cacotopique ».
Au final, Le Concile de fer, récompensé par les Prix Arthur C. Clarke et Locus, se démarque des autres romans du même univers par l'engagement politique que China Miéville y manifeste de bout en bout. On en sait un peu plus sur les acteurs et la topologie des lieux, très proche du Viriconium de M. John Harrison ; Bas-Lag s'affirme comme un monde en déliquescence, au passé glorieux et au futur sans espoir, ou presque.