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Les critiques de Bifrost

Le Coup du cavalier

Walter Jon WILLIAMS
L'ATALANTE
352pp - 22,50 €

Critique parue en janvier 2011 dans Bifrost n° 61

Louons les efforts des éditions l’Atalante, qui poursuivent la publication des romans de Walter Jon Williams, auteur finalement assez méconnu en France au-delà du désormais classique Câblé (Denoël « Lunes d’encre »). En février 2010, il était question de Ceci n’est pas un jeu. Sept mois plus tard, il s’agit désormais d’une œuvre moins récente, puisque publiée aux Etats-Unis en 1985.

Le Coup du cavalier est un roman de science-fiction des plus classiques : dans un avenir lointain, la Terre s’est vidée de ses habitants. Un homme, Doran Falkner, s’emploie à la racheter progressivement aux derniers Irréductibles qui refusent de la quitter — refusant aussi, au passage, l’immortalité offerte à tous.

Doran, lui, à l’instar de la majorité des humains, l’a acceptée. Il est même à l’origine de sa découverte (aidé, il est vrai, par un extraterrestre assez étrange, Elastos). Grâce à cela et à l’« in-vention » d’une nouvelle source d’énergie inépuisable, il est devenu riche. Immensément. Il a donc pu réaliser ses rêves et s’installer à Delphes, siège de la Pythie, lien supposé entre le dieu Apollon et l’Humanité. Il en a en partie reconstitué les mo-numents antiques, créant au pas-sage une nouvelle race inspirée de la mythologie : les centaures. Doués de parole, ces derniers discutent en grec ancien et cultivent le souvenir des poètes classiques, composent, chantent et dansent, font revivre en les actualisant ces moments passés depuis tant de siècles… Si Doran vit seul, dans sa maison si perfectionnée qu’elle est à l’écoute de son moindre désir, il garde toutefois quelques contacts avec certains de ses enfants, en tous cas ceux dont il connaît l’existence, car après tout, à son âge, on ne se rappelle plus précisément le détail de ses actes…

Un jour, son associé vient lui parler d’une découverte à même, pour peu qu’on en perce le secret, de bouleverser à nouveau le destin de l’Humanité : des animaux, les lugs (sorte de kangourous stupides), parviennent à se téléporter instantanément d’un endroit à un autre. Doran Falkner est appelé à la rescousse afin d’élucider ce mystère aux enjeux colossaux…

On pourrait croire que cette aventure scientifique va servir de fil conducteur au roman, mais elle ne s’avère finalement qu’un prétexte, prétexte qui ne se verra traité que dans le dernier tiers du récit. Ici, ce qui intéresse Walter Jon Williams, c’est le thème de l’immortalité, l’un des tropes de la science-fiction, un sujet souvent traité sous l’angle de l’ennui. Des entités, si puissantes qu’elles ont terrassé la mort, ne cherchent plus qu’à vaincre ce nouvel ennemi délétère, cette lassitude qui finit par les miner, les rendre fous. Et cela, par tous les moyens, y compris, paradoxalement, par la mort elle-même. C’est ce que vivent Hergal et d’autres dans Ne mords pas le soleil ! de Tanith Lee, eux qui passent leur temps à se suicider (Hergal en est à sa quarantième tentative au début du roman). Chez Moorcock, cette immortalité entraîne tous les excès, baroques et décadents dans Une chaleur venue d’ailleurs, Les Terres creuses et La Fin de tous les chants. Dans Le Coup du cavalier, Walter Jon Williams nous offre une galerie assez variée de réactions devant cette chance aux allures de fardeau. Des humains et des extra-terrestres cherchent et trouvent des distractions, des solutions ou des pis-aller.

Pour l’auteur de Câblé, le risque dans l’immortalité, c’est tout simplement de perdre son humanité, devenir esclave des machines et de ses propres fantasmes. De se transformer, comme ce savant de renom, le docteur Zimmerman, en être geignard et infantilisé, tributaire d’une IA protectrice et tyrannique ayant pris la place de sa mère défunte. Voilà ce que refuse Mary, femme aimée de Doran. C’est une Irréductible. Elle a choisi de vieillir afin de rester elle-même alors que Doran Falkner a basculé dans l’immortalité. Leurs réflexions, leurs doutes, leurs envies contradictoires sont l’intérêt principal de ce roman. Comment accepter le choix de celle qu’on aime alors que cela implique sa mort prochaine ? Comment vivre avec quelqu’un qui restera éternellement jeune alors que l’on vieillit inexorablement, qu’on évite les miroirs de peur d’y croiser son reflet ?

Ces questions et d’autres font de ce Coup du cavalier un roman attachant quoique souvent brouillon, un livre qui n’évite pas toujours au lecteur l’ennui que vivent certains de ses personnages, mais qui mérite néanmoins le temps qu’on lui consacre. Et tant pis si nous ne disposons pas encore de la vie éternelle. D’ailleurs, après tout, est-ce vraiment souhaitable ? Sans doute pas, si on en croit Walter Jon Williams…

Raphaël GAUDIN

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