Paris, 1871. La Commune insurrectionnelle est proclamée dans l’effervescence et l’improvisation. Les Prussiens campent encore sous les murs de la capitale et déjà les partisans de la Sociale s’opposent à ceux de la république conservatrice. De quoi nourrir une guerre civile.
Rappelé du front d’Alsace avec sa compagnie, Lucien Bel pénètre intra-muros afin de confisquer les canons entreposés à Montmartre, histoire de désarmer les communeux. Bien sûr, les événements ne se déroulent pas comme prévu. Contraints par la vindicte populaire à mettre la crosse en l’air, les soldats s’éparpillent dans les rues. Avec deux camarades, Lucien échoue dans un garni. Aux prises avec des insurgés, les choses tournent au vinaigre. On ne tarde pas à s’insulter, à se menacer, des coups de feu sont tirés et Lucien atteint à la tête. Lorsqu’il se réveille à l’hôpital, le jeune homme découvre trois plaques métalliques vissées sur son crâne…
L’Histoire officielle rend rarement justice à la mémoire des vaincus. La Commune de Paris n’échappe pas à la règle. Marqueur idéologique fort et ultime épisode révolutionnaire du xixe siècle, l’événement échappe pourtant à l’enseignement de l’Histoire. A vrai dire, il n’y a guère que la fiction pour tenter de lui rendre justice, pour essayer de restituer sa complexité et faire revivre son hors champ historique.
Sur cet épisode littéralement dramatique, Lucien Bel apporte son témoignage, l’esprit dégagé des certitudes partisanes, comme habité par cette décence commune chère à George Orwell : celle des petites gens. S’il juge pathétique les gesticulations de cette commune improvisée dans la précipitation, sans plan d’ensemble ni tête, Lucien ne voue pas aux gémonies les motifs de la révolte populaire. Et s’il réprouve les violences commises par les insurgés, il condamne tout autant celles perpétrées par les bourgeois, les Versaillais, engoncés dans leurs préjugés et épouvantés par la colère d’un peuple qui de son côté les craint.
De témoin, Lucien bascule progressivement du côté de l’action. Lui, ce soldat qui ne tue pas et théorise sur le meurtre, érigé en art au nom de la patrie et de la Commune, il cherche à élucider ce mystère qui n’en est plus un pour Jean-Baptiste Delestre. Pour le phrénologue, adepte de la physiognomonie, la forme détermine en effet la qualité de l’esprit, faisant de l’humain un saint ou un paria, un juste ou un criminel. Une théorie qu’il entend prouver en se servant de Lucien Bel comme cobaye. Manière pour lui de satisfaire son ambition tout en proposant au gouvernement un moyen de dompter l’impétuosité révolutionnaire de la population.
Homme du peuple, fermement ancré dans son milieu, Lucien Bel finit par comprendre que l’homme n’est rien du point de vue du pays et de la politique. On tue pour obéir à une injonction, sous la pression des autres, ou pour éliminer des gens que l’on ne connaît pas. On tue pour effacer quelqu’un, ou quelque chose, de la réalité. Et de l’Histoire.
Invitation à (re)découvrir la Commune de Paris et ses personnalités marquantes — Nadar, Eugène Pottier, Jules Allix, le fondateur de la légion des Amazones de la Seine, Gustave Courbet — Le Crâne parfait de Lucien Bel apparaît comme une réflexion troublante sur l’irréversibilité de la violence et l’échec d’une certaine idée de la révolution. Avec ce roman, Jean-Philippe Depotte confirme tout le bien que l’on pensait déjà de lui. Réjouissons-nous de cette lecture documentée et salutaire sur la Commune insurrectionnelle de Paris, dont le seul tort est d’avoir eu raison trop tôt.