Richard COWPER, Christopher PRIEST, David WINGROVE
ARGYLL
272pp - 19,90 €
Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102
Pour leur acte de naissance, les toutes nouvelles éditions Argyll, basées à Rennes et menées par Xavier Dollo et Simon Pinel, entourés d’une petite équipe, ont choisi de nous offrir la réédition de ce très beau roman de Richard Cowper paru voici 45 ans en « Présence du Futur », chez Denoël.
Construit en flash-back, le roman débute par l’explosion d’une supernova non loin de la Terre, à l’échelle cosmique s’entend. Qui veut avoir une idée de l’amplitude que permet la SF dans le traitement d’une même prémisse comparera ce roman avec Diaspora, de Greg Egan.
Richard Cowper fait partie, avec les Keith Roberts, Christopher Priest et autre Ian Watson, de la génération d’auteurs britanniques des années 1970. S’il fit incontestablement partie du milieu SF de l’époque, il en resta toujours à la marge, plus proche de la tradition, tant littéraire que science-fictive. Le roman catastrophe, et plus spécifiquement post-apocalyptique, que Cowper aborde ici a toujours été au cœur de la SF britannique, de H. G. Wells à J. G. Ballard, et lui-même y reviendra pour son grand œuvre, « L’Oiseau blanc de la fraternité ». Richard Cowper est le pseudonyme de John Middleton Murry, fils d’un très célèbre critique littéraire anglais du début du XXe siècle qui fut l’époux d’une des plus grandes dames des lettres anglaises, la néo-zélandaise Katherine Mansfield, mais Richard Cowper naquit d’un lit ultérieur. Nul autre auteur de SF, à ma connaissance, n’eut l’heur d’ainsi naître dans les plus hautes sphères littéraires de son pays, et donc de se voir donner une éducation tournée vers la tradition littéraire la plus élevée, tradition que l’on retrouve dans son œuvre SF sous forme de citations, des poètes notamment, émaillant ses livres, mais surtout par la qualité de son style, qui, loin de toute lourdeur et de préciosité, « émerveille par sa prose précise, élégante et généreuse », comme l’écrit Christopher Priest dans sa postface. Et sans omettre aussi, parfois, pour prix de cette haute extraction intellectuelle, un certain conservatisme…
En 1983 (le roman date de 1974), une supernova apparaît donc dans le ciel de la Terre et engendre des catastrophes climatiques tandis que s’installe une période glaciaire. Là n’est cependant pas le pire, car les radiations ont rendu stérile l’humanité et fait advenir une génération de mutants, les Zêta. Dans sa recherche éperdue d’une solution de continuité, l’humanité en vient à les massacrer avec leur consentement, mais en vain, car la solution est ailleurs…
C’est à partir de là que l’on entre véritablement dans la spécificité de Richard Cowper, que seul Gene Wolfe approche plus ou moins. Cowper est gnostique, il croit en l’existence de l’âme. C’est là qu’il ira puiser le remède aux maux qui accablent l’humanité – maux qui, dès lors, apparaissent d’essence biblique, l’expression d’une volonté divine quand bien même ne s’agirait-il pas d’un châtiment. De fait, on peut se poser la question de l’appartenance du Crépuscule de Briaréus à la SF en tant que conjecture rationnelle. Disons que, dans l’optique du croyant, l’action de Dieu est tout aussi réelle et opérative que… la loi d’Ohm. Il y a (p. 215) une très intéressante réflexion à propos de Judas, le réhabilitant comme le seul apôtre ayant compris que le sacrifice de Jésus était la condition de l’accomplissement de son dessein messianique. C’est l’une des clefs du roman où Calvin Johnson finira par acquérir le statut d’une telle figure. Le flux d’énergie de la supernova Briaréus Delta s’avérant alors le vecteur d’entités que l’on interprétera à la fois comme anges et extraterrestres, et dont les Zêta sont les agents. Sous cet angle, Cowper donne ici l’un des plus étranges récits d’invasion qui soit et évoque le Philip K. Dick tardif, Les Enfants d’Icare de Arthur C. Clarke ou Le Vaisseau des Voyageurs de Robert Charles Wilson. Mais là où la SF a donné des interprétations matérialistes du divin, Richard Cowper offre une vision gnostique de l’extraterrestre…
Le livre est complété par deux articles de Christopher Priest, le premier est biographique et présente Richard Cowper, le second narre la rencontre des deux auteurs en 1972. Une interview réalisée par David Wingrove vient compléter ce nécessaire portrait d’un auteur qui n’avait plus été publié en France depuis 1987 (dans Fiction).
Même pour qui, comme moi, ne partage en rien le gnosticisme de Richard Cowper, Le Crépuscule de Briaréus est un roman magnifique, l’un des plus beaux qui nous soient donnés à lire… À découvrir ou à redécouvrir sans plus attendre.